dimanche 29 avril 2012

Café au lait

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente

Une semaine et demie après mon arrivée au Cap Vert, je dois bien reconnaitre que les choses n’avancent pas vraiment. Enfin quand je dis les choses, je parle des trucs obligatoires que je devrais m’échiner à faire. Comme m’occuper de mon bateau par exemple... Mais bon, ça n’avance pas. Ou plutôt je n’avance pas.
Résumons-nous voulez-vous ? Lorsque je suis arrivé, j’avais quelques avaries à réparer dont la plus importante était la rupture de mes deux tubes soutenant le régulateur d’allure. Ça c’est fait, grâce aux compétences d’Alexandre un voisin, qui disposait de tout le matos nécessaire pour me fabriquer deux nouveaux tubes au diamètre plus conséquent. En deux jours c’était bâché, pour une somme raisonnable.

Ensuite il y avait la pompe de cale à changer... Là encore j’ai eu du bol de trouver une pompe neuve au mini-ship de la marina, et là encore pour un prix inférieur aux tarifs européens. Reste à l’installer, et c’est là que ça se corse... Je vais devoir « inventer » un système pour adapter cette nouvelle pompe à la tuyauterie existante. J’ai beau faire tourner mes méninges à plein tube, pour l’instant je sèche.

Puis, il faut que je fasse réviser mon démarreur... J’ai bien essayé de m’en occuper moi-même, mais à peine avais-je démonté les premiers boulons je me rendais compte que cela allait être au-dessus de mes compétences. Il va falloir que je me dégote un mécanicien...

Reste les accrocs aux voiles et le support du panneau solaire à changer, et je n’ai pour l’instant pas eu, ni le temps ni l’envie de m’en occuper.

Sunset
L’envie, le moteur de toute chose, est sacrément absente de cette escale, et ça me fait assez mal au cul de vous le dire. Je ne sais pas trop pourquoi... Enfin si, j’aurais tendance à en rendre responsable le vent.
Ce vent à décorner les bœufs qui souffle en permanence depuis mon arrivée rendant cette marina dangereuse et inconfortable. Dangereuse pour le bateau je veux dire. Je passe mon temps, de jour comme de nuit, à vérifier mon amarrage. A m’inquiéter que ma pendille, que j’ai pourtant doublée, cède. Que mon bateau percute le ponton... L’eau de la baie est en permanence comme en ébullition et La Boiteuse se dandine comme si nous naviguions par force 3. Bref, ça me prend la tête et je dors mal.
Ça me fait penser au mois de mars en Provence. Mars, le mois des fous. Le mois du vent qui rend fou. Ceux de mes lecteurs qui vivent dans la vallée du Rhône doivent comprendre ce que je veux dire. On a les tempes prises en permanence, les nerfs à fleur de peau... bref, on est mal. Là, au moment où je vous parle le bateau vient de prendre 15° de gîte sous une rafale à plus de 25 nœuds... Fait chier.

La bière plutôt que le rhum
De fait, je n’ai pas trop le cœur à me lancer à la découverte de l’ile de Sao Vicente. Je me contente de me balader dans la ville de Mindelo qui est assez charmante je dois le dire. Il y règne une atmosphère tranquille, une douceur de vivre apparente emprunte de créolité. Car l’archipel du Cap Vert même s’il se trouve à moins de 600 Km de Dakar, n’est pas vraiment un pays africain. Ici, la population et la culture sont issues du métissage entre portugais et esclaves noirs africains. Un métissage total. Culturel, sanguin, linguistique... Bref, les capverdiens sont des créoles, dans le plein sens du terme.
Et la première chose qui saute aux yeux du visiteur, en tous cas aux miens, c’est qu’ici les gens sont beaux de ce métissage. Oui, beaux. Les femmes comme les hommes ont une finesse de trait, une stature en même temps qu’une couleur de peau que je trouve magnifique.
Vous savez, chaque matin quand je prends mon café, je rajoute une dose de lait concentré. Et à chaque fois mon poignet se fait plus ou moins lourd selon ma fatigue ce qui fait que mon café a à chaque fois un goût différent... Et une couleur différente. Mais ça reste mon café du matin.

C’est comme ça que je vois le Cap vert. Une belle tasse de café au lait, avec plein de couleurs  qui vont du noir d’ébène au lait légèrement teinté de café...C’est chaud, sucré, excitant aussi... Bref, c’est beau et c’est bon le Cap Vert.

la monnaie du Cap Vert : L'Escudo
D’un point de vue  historique et politique il y aurait énormément à dire sur le Cap Vert... Mais bon, n’ayant pour l’instant pas trouvé d’interlocuteur satisfaisant je ne peux hélas pas vous en dire plus. Mais ne vous inquiétez pas, je cherche activement quelqu’un qui pourra me raconter l’histoire de son pays depuis son indépendance et je vous promets que cela fera l’objet d’un article dédié.
Tout ça pour dire que je pense rester quelques semaines de plus que prévu au Cap Vert... Je m’en voudrais de partir d’ici sans avoir répondu à quelques questions qui me taraudent et dévoilé quelques mystères...

Mais pour l’instant, le vent me cloue sur place et m’immobilise aussi bien physiquement que mentalement. J’ai un peu peur de laisser La Boiteuse livrée à elle-même, aussi je me contente de rester dans le périmètre de la marina. Cela dit le spectacle n’y est pas inintéressant. Entre les rares bateaux de voyage qui restent encore dans le coin, la flottille de pêche au gros qui part tous les jours écumer les parages, je n’ai pas de quoi m’ennuyer. J’observe avec un certain détachement ce spectacle où se côtoient toutes sortes d’acteurs. De la famille avec enfants en bas âge à l’anglo-saxon complètement bourré en rentrant de la pêche... J’ai de quoi enrichir mon regard sur le genre humain, croyez-moi.


Bon, il faut que j’aille relever ma nasse pour récupérer quelques poissons perroquet à donner à manger à Touline. Elle vous salue bien d’ailleurs, et moi aussi par la même occasion.

A bientôt !

Quelques couleurs locales pour finir...





mardi 24 avril 2012

Vers le Cap Vert – Troisième partie

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente

Le mardi 17 avril 2012

Chaud devant !
08H00, nuit secouée mais ni plus ni moins que les fois précédentes. Un Nordet de Force 4, sous Génois1/4, je fais du 5 nœuds de moyenne. Il me reste très exactement 197,4 milles à parcourir, ce qui... Attention calcul de sorcier : 5x24=120 ; 200-120=80 ; 80/5=16 ; 8+16=24... Mercredi soir minuit !
Bon, c’est à la louche hein ! Sachant qu’il fait jour jusqu’à 21H00, cela fait trois heures à grappiller entre maintenant et demain soir... Ce qui, à mes yeux, me semble faisable.
D’ailleurs on va commencer par dérouler un poil de Génois, histoire d’augmenter un poil de vitesse. 0,5 nœuds sur 24 heures devrait faire l’affaire.
Pendant que je calcule tout ça dans ma tête, Touline est à l’intérieur et joue au foot avec un bouchon en plastique. Je la soupçonne de savoir dévisser les bouchons des bouteilles d’eau avec les dents... Il va falloir que j’enquête.

12H00, je regarde bien plus souvent vers l’avant du bateau maintenant... Pourtant je sais très bien qu’il n’y a rien à voir de plus qu’au début car nous sommes encore loin du Cap Vert (180 milles). Peut-être aussi que les grosses vagues qui m’arrivent par l’arrière me font moins peur... Enfin, j’en sais rien, mais c’est ainsi.
Juste avant le déjeuner, je me disais que j’allais déployer le Génois en grand... Et puis non. Sitôt avais-je fini d’avaler mes sandwichs le vent est soudainement monté. Oh, pas de quoi faire des cabrioles, mais suffisamment pour rester dans mes pronostiques. Eole aurait-il décidé de me filer un coup de main ?

Une Physalie
15H00, je viens de voir, et là je pèse mes mots, ce qui doit être à mes yeux la plus belle chose que la nature et l’évolution aient pu engendrer... Une méduse à voile. Franchement, j’en suis resté bouche bée tellement c’est beau comme bestiole.
Oh bien sûr j’en avais entendu parler dans la littérature, Moitessier (oui, encore lui) en parle notamment, mais je n’avais jusqu’à présent jamais eu l’occasion d’en rencontrer. Comment vous dire... Imaginez une méduse flottante ovale (ce n’en n’est pas exactement une mais on s’en fout), de 20 à 25 cm, et au-dessus, sortant de l’eau d’une dizaine de centimètres, un peu comme une crête arrondie, une poche remplie d’air qui fait office de voile... Et le vent la pousse ainsi, au gré de ses caprices. Mais surtout, ce qui m’a littéralement laissé sans voix, ce sont les couleurs magnifiques qu’arbore cet animal. D’une transparence violette, avec des touches de bleu, et des nervures d’un rose fuchsia ! C’est tout simplement splendide... Et d’une telle délicatesse !
Oui, à côté de ces Physalies, qu’on appelle aussi des Galères Portugaises, je crois qu’il n’existe rien de plus beau sur cette planète. Ou du moins à ma connaissance.

18H30, j’ai changé d’amure pour gagner en cap et je me rends compte que j’en apprends encore et toujours. Mais pourquoi donc ai-je tant attendu avant d’abattre cette fichue Grand Voile ? Hein ? C’est tellement plus simple sans elle quand on est au vent arrière !
Peut-être parce que je n’ai pas l’habitude de naviguer ainsi tout simplement, et que les habitudes ont la vie dure... En attendant, la leçon que je viens d’apprendre m’aura coûté quelques heures et quelques milles en plus...

On garde le sourire !
Cet après midi je me suis penché sur le guide des iles de l’Atlantique et j’y ai parcouru le chapitre sur le Cap Vert. L’arrivée sur Mindelo ne devrait pas vraiment poser de problème, mais à la lecture des formalités administratives j’ai réalisé un truc qui va vous paraitre stupide. Je vais aborder un nouveau pays, avec une nouvelle langue, une nouvelle monnaie et je vais avoir un nouveau tampon sur mon passeport. C’est con, mais de penser à ça, ça me plait.
J’espère que la facilité avec laquelle j’étais passé de l’espagnol au portugais dans mon jeune temps sera toujours d’actualité... L’astuce, si je me souviens bien, réside surtout dans la prononciation (pronociaçao ?)
Oh ! Et puis je vais changer d’heure aussi ! UTC moins une heure qu’ils disent dans le bouquin. Ça voudra dire deux de moins pour moi et trois heures de moins par rapport à la France.

21H00, j’ai longuement hésité avant de décider de garder la voilure en l’état pour la nuit. De toute façon, s’il devait se passer quelque chose, je crois que je le sentirais... Je commence à avoir le truc maintenant, ce truc que certains appellent le sens marin. Mais bon, je n’irais pas jusque là encore, je suis bien trop novice en la matière.
La Boiteuse file ses 5,3 nœuds au 240°. Extinction du soleil et allumage des feux. Logiquement à cette heure demain, je devrais être en vue de Porto Grande.

Le mercredi 18 avril 2012

08H00, bon ben je crois que pour une arrivée de jour, c’est mort. J’ai ramé toute la nuit à 4,3 nœuds, ce qui fait que ce n’est pas le soleil que j’aurai comme compagnon pour mon arrivée, mais la lune. Et encore... je sais qu’elle sera en retard la bougresse parce qu’en ce moment c’est une lève tard. Restera la lumière des étoiles et de la côte...
J’ai encore 80 milles à faire, et si le vent n’augmente pas un peu... Et bien nous sommes bons, Touline et moi, pour une huitième nuit en mer.
Le bon côté de tout ça, c’est que la nave est agréable. Une légère brise tiède et pas de houle.

Soyons courtois !
09H00 Allez Gwendal, on garde le moral ! Et pour se mettre du baume au cœur, quoi de plus exaltant que de hisser le nouveau pavillon de courtoisie ? Exit donc mon pavillon espagnol, qui après plusieurs mois d’utilisation ne ressemble presque plus à rien, et hissez-haut le pavillon du Cap Vert !
Il est joli je trouve : Fond bleu, bande rouge et blanche horizontale et cercle de 10 étoiles pour représenter les iles de l’archipel.
Bien sûr, comme je débarque d’Europe j’y adjoins le pavillon jaune, ou « Q » dans l’alphabet international. Celui-ci signifie que j’arrive d’un pays étranger et que je réclame une inspection à bord du trio gagnant Douane-Police-Service de santé (le « Q » voulant dire Quarantaine). De nos jours, ça veut juste dire que je n’ai pas de visa et que je n’ai pas encore fait mes formalité d’entrée sur le territoire.

10H00, putain on se traîne là... Bon, du coup j’ai du temps pour écrire (ou l’envie, je ne sais pas). Au bout d’une semaine de mer, la vie devient plus facile sans être vraiment routinière. En effet, naviguer avec un chat en liberté sur le bateau vous impose pas mal de contraintes, et au quotidien ce n’est franchement pas de la tarte. Oui, j’ai dit en liberté, car depuis le deuxième jour j’ai cessé de lui mettre sa laisse. C’est finalement plus difficile à gérer avec que sans.
Oh bien sûr, il y a plein de côtés positifs comme le fait d’avoir quelqu’un avec qui parler. De façon restreinte bien sûr, mais bon, c’est mieux que d’être seul. Et puis il y a les jeux et les câlins aussi... Ça c’est vraiment cool et réconfortant.
Un câlin ?
Mais un chat à bord, c’est d’abord et avant tout l’art de prévoir. C'est-à-dire qu’à chaque fois que j’ai quelque chose à faire, il faut que je me pose cette question préalable « Qu’est-ce que je fais du chat ? »
Je me souviens, à un moment au plus fort de la baston de dimanche, en plein empannage j’ai eu à aller très vite sur le pont pour dégager une écoute de Génois prise dans la main courante. Quelle ne fut pas ma surprise en me retournant de trouver Touline juste sur mes talons ! Les quatre pattes largement écartées et le ventre au ras du sol pour garder son équilibre, avec le bateau qui roulait bord sur bord et les embruns qui arrosaient le pont !
De même, hier j’ai dû carrément la récupérer à la proue du bateau, les deux pattes avant posées sur l’enrouleur de Génois. Genre, elle me faisait un remake de « I’m the Queen of the world ! », façon Titanic.

Bref, tout ça pour dire qu’il faut constamment anticiper avec elle... Si j’ai une manœuvre à faire, il faut que je pense à fermer le capot et à la laisser à l’intérieur. Si je veux dormir, idem. Cependant je dois reconnaitre pour sa défense qu’elle est relativement obéissante pour une chatte. Il suffit que je gueule un bon coup pour qu’elle stoppe sur place immédiatement, la queue fouettant l’air de frustration.
Mais bon, tout bien pesé, c’est plutôt cool d’avoir Touline comme équipière. T’es une bonne chatte ma fille, et Papa il t’aime !

11H15, et merde j’ai rayé mes lunettes de soleil. Fait chier !

12H00, 3,17 nœuds de moyenne depuis quatre heures. On dirait qu’Eole a décidé que j’arriverai demain. 10H00 du mat’ pour être précis si on continue à ce train là... Pas grave, vraiment pas grave. Je devrais être déçu, comme ça m’est déjà arrivé dans des circonstances similaires, mais non. Je m’en tape en fait. Une journée, une nuit de plus ou de moins qu’est-ce que ça peut faire ? Il fait beau, chaud même. Je suis allongé sur le rebord de ma baignoire en short et en teeshirt, et je profite. Tien, et comme c’est l’heure et que la mer s’y prête, je vais même lancer une bonne tambouille et me faire péter le ventre.
La vie est belle, moi j’vous le dis.

La vie est belle

14H00, ah te voilà toi ! Ça fait des heures que je fais du surplace et tu débarques enfin ? Allez mon vieux Eole, gonfle bien tes joues et envoie la sauce !

16H00 Bon d’accord, le vent est revenu mais sans casser la baraque. Enfin, la Boiteuse avance honnêtement et c’est donc de façon honnête que nous devrions arriver vers... Cinq heures du matin demain ! Je vais peut-être ralentir finalement, histoire d’arriver avec le jour...

Réparation de fortune
18H50, et merde... Alors que j’écoutais ma musique tranquillou, j’ai constaté que la Boiteuse semblait remonter vers le Nord. Je jette un œil au régulateur, et je vois que le penon (le ruban vert qui me donne le sens du vent) n’est plus du tout aligné avec l’aérien... Qu’est-ce qu’il se passe encore ?
Je me penche sur mon régulateur, et là je vois qu’un des tubes qui soutiennent le bordel vient de casser net et pendouille dans l’eau, bloquant la pale immergée.
Je me précipite à la recherche d’une clef de 10 pour démonter ce tube de merde qui ne sert plus à rien et avant qu’il n’abime encore plus mon précieux régulateur.
Le démontage est acrobatique et, oserais-je le dire, se fait sans filet. Une fois le tube retiré je me mets à réfléchir... Impossible de la remplacer dans l’immédiat, il faut donc que je soulage autant que possible le pilote de son poids et des efforts qu’il encaisse... Finalement j’ai arrimé le tout solidement au portique avec deux boutes. J’espère que ça va tenir jusqu’à l’arrivée !

20H00, j’ai dîné avec un restant de pâtes au jambon, et pendant que je fumais ma clope pour dessert, j’ai réfléchi un peu en regardant le soleil se coucher. Je suis à 45 milles de mon but, ok. Ça veut dire que j’arriverai vers six heures du mat, sauf si le vent augmente... Ce qui pourrait très bien être le cas... Solution : Réduire la voilure. Si je ne dépasse pas les 4 nœuds ça sera nickel pour arriver au point du jour...D’accord, mais en même temps je ne sais plus qui disait que c’était un pécher que de ne pas laisser son bateau s’exprimer... (C’est Moitessier, comme d’hab)
Bon allez ! Je laisse comme c’est et on arrivera quand on arrivera. L’approche a l’air simple, et puis il faut bien que je me tape des arrivées de nuit de temps en temps pour acquérir un peu d’expérience, hein ?

21H35, finalement je réduis un peu le Génois. Oui je sais, il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis.

Le jeudi 19 avril 2012

Ça va comme ça Capitaine ?
00H30 j’ai dormi un peu... Une heure et demie. A mon réveil j’aperçois un halo orangé à l’horizon. Dès lors, impossible de retrouver le sommeil.

01H30 D’autres halos plus petits et des lumières au loin. On approche.

02H00, je vais trop vite ! Je fais du 5 nœuds, il faut réduire encore !

05h00 bon allez, je vois distinctement la côte à 5 milles de moi. Si je continue sous voile, je vais taper dans les cailloux, il est temps d’allumer Mercedes.
PUTAIN ! Encore le démarreur qui fait des siennes ! Après cinq minutes pendant lesquelless j’ai alterné les coups de marteau tout en voyant la jauge batterie descendre à chaque tour de clef infructueux, Mercedes démarre enfin. Ouf ! Je n’ai plus un poil de sec moi...

05H30, je vois très bien le feu qui balise l’ilot de Dos Passaros, qui marque l’entrée dans la baie de Mindelo.

06H40, et voilà... Le deuxième tube qui retenait encore le régulateur vient de lâcher à son tour. Heureusement que j’avais assuré l’ensemble avec une potence, sinon mon régulateur serait tombé à l’eau. Accroche-toi Gwendal, on y est presque !

07H00 je suis dans la baie, et il commence à pleuvoir. Mais heuuuuuuuu..... Je ne lui ai encore rien fait au Cap Vert moi ! Pourquoi il m’en veut comme ça ?

07H30, ça y-est il fait jour. J’arrive à la marina... Le timing est parfait. T’es trop fort Gwendal.

09H00 extinction du moteur, on est arrivé. Heu... oui, il m’aura fallu une heure et demi pour amarrer la Boiteuse aux pontons de la marina tellement le vent y souffle fort. J’ai dû essayer une bonne dizaine de fois avant de finalement pouvoir présenter correctement le cul du bateau et pour choper la bouée qui sert de pendille.
J’y ai laissé un peu de peinture, et si le régulateur n’avait pas été cassé il le serait probablement à présent, mais j’y suis finalement arrivé. Avec l’aide, je dois le préciser, d’un veilleur de nuit un peu pris au débotté et légèrement dépassé.

Je peux enfin mettre le pied sur le ponton. Touline elle aussi débarque et commence alors son inspection systématique et frénétique de tous les bateaux qui m’entourent. Je m’allume un cigare pour marquer ce moment.

Bon ben les enfants on y est... On est au Cap Vert bordel de merde !

Ce mardi 24 avril 2012

La baie de Mindelo
Cela fait maintenant quatre jours que je suis arrivé, et je ne vous cache pas que je suis encore sous le coup de cette traversée. Le coup physique j’entends. Une nuit blanche suivie d’une journée marathon qui me vit accomplir les formalités d’entrée sur le territoire capverdien, la recherche d’un supermarché, d’un distributeur de cash, quelques mondanités... Ajoutez à ça un décalage horaire de deux heures et vous comprendrez si je vous dis que votre Capitaine il est sur les rotules !

Sur les rotules certes, mais heureux. Ouais, vachement heureux ! Le Cap Vert... Wahou ! Quand j’y pense, et que j’ai envie d’être gentil avec moi-même, je me dis que j’ai de quoi être fier. D’accord, j’aurais mis un an pour arriver jusque là, et mon petit bout de chemin est ridicule par rapport à d’autres... Mais quand on sait d’où je viens, quelle fut ma vie et mes expériences passées, je crois sans mentir que j’ai quelques raisons de me rengorger.

Alors, je vais vous dire ce qu’il va se passer maintenant. J’ai l’intention de rester à Mindelo le temps pour moi de réparer ce qui a été cassé pendant cette traversée (le régulateur, le démarreur, le panneau solaire, quelques accroc aux voiles, la pompe de cale...). Et en même temps, je vais essayer de récupérer des forces et de me préparer mentalement pour la prochaine étape : La transat !
Souvenez-vous, je vous disais que cette traversée Canaries-Cap Vert était pour moi comme un galop d’essai et qu’à son issue je déciderais si oui ou non je me sentais de traverser l’Atlantique en solitaire... Et bien ma décision est prise, je ferai cette course seul. Ce que je viens de vivre pendant une semaine, je crois pouvoir le supporter pendant les trois semaines qui me seront nécessaires pour rallier Salvador Do Bahia au Brésil.

Mais avant ça, comme je vous l’ai dit j’ai un peu de travail, et surtout un nouveau pays à découvrir !

Adeus !

Encore des photos : 

Tu me réveilles si tu as besoin de quelque chose hein ?
Le drapeau du Cap Vert
Y'a un truc qui bouge là-haut...
Un peu cabot peut être ?
La Boiteuse

dimanche 22 avril 2012

Vers le Cap Vert – Deuxième partie

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente

Le dimanche 15 avril 2012

Tropique du Cancer !
08H20, Houla ! Dure la nuit... Tout allait à peu près bien jusqu’à minuit, minuit et demi. Vent de Force 5, une mer formée mais sans excès. Ça chahute mais on reste dans le domaine du supportable.
Minuit et demi, j’attendais ce moment avec impatience car c’est l’heure à laquelle j’ai franchi le Tropique du Cancer ! Oui Messieurs-Dames ! La Boiteuse navigue désormais « sous » les tropiques... Ce matin je voulais vous dire ma joie d’avoir franchi cette ligne virtuelle, toute aussi symbolique pour moi que ne l’est l'Equateur. Cela doit venir de mon imaginaire personnel je crois... Passion sous les tropiques, Ouragan sous les tropiques, Aventure sous les tropiques, etc... Tous ces titres ont en commun d’insinuer un décor fait de chaleur, à la fois sensuelle et exotique. Et puis je ne sais pas pour vous, mais ce n’est pas tout les jours qu’on peut dire « Je viens d’arriver sous les tropiques ! ». Et bien moi je viens de le faire, là maintenant. Je viens de conduire ma Boiteuse sous les tropiques... Et mine de rien j’en suis pas peu fier.
Je souris en pensant à Captaingils, car c’est un peu lui qui m’a inspiré le fait de scotcher au dessus de la table à carte les coordonnées 23°26’16". Lui avait failli oublier alors que moi non !

Bon, à part ça les tropiques c’est très surfait. C’est même carrément du pipeau si l’on s’en réfère à la nuit que je viens de passer. Sitôt la ligne franchie, le vent a forci m’obligeant à réduire le Génois à la taille d’un mouchoir de poche (Attention à ne pas confondre avec le timbre poste ou le string qui sont d’autres mesures de surface en vigueur dans la marine), et ensuite jusqu’au lever du jour ça a été « tous aux abris et advienne que pourra ! » Je me suis fait brasser et la mer m’a déferlé sur la gueule pendant toute la nuit alors que la Boiteuse filait comme une fusée dans la nuit noire.
Vers 04H00 tout était trempé dans le cockpit. Le bonhomme, le duvet, le matelas, les coussins... D’ailleurs ce n’était plus un cockpit mais plutôt une baignoire. J’étais pelotonné dans le fond de ma baignoire donc, à même le caillebotis, j’avais froid et j’attendais sans dormir la prochaine qui allait me saucer. A un moment j’ai fortement envisagé d’aller me réfugier à l’intérieur au sec et au chaud dans le carré, mais à cause de la chatte j’ai dû y renoncer (vous verrez pourquoi plus loin). Bref, j’ai eu ma dose et pendant ce temps-là la Boiteuse surfait sur les vagues à 13,4 nœuds.

N'oubliez pas de voter aujourd'hui !
10H00, c’est toujours aussi mouvementé et je regarde la houle qui m’arrive par bâbord arrière en écoutant Noir Désir. Ça me fait penser qu’on est dimanche et que dans une semaine ce sera le premier tour des élections présidentielles... Certains d’entre vous vont peut-être me trouver débile, mais je ressens comme une espèce de culpabilité de ne pas pouvoir voter cette année. J’aurai pu, je pense, me débrouiller pour faire mon devoir, mais en même temps selon la loi je n’ai plus de domicile en France et je ne suis pas inscrit sur les listes des français résidant à l’étranger. Je suis un nomade absolu, et les nomades n’ont par définition pas de pays. Donc les nomades ne votent pas pour élire leur président, point barre. A moins qu’il y ait un président de la Nomadie, mais là je ne suis pas au courant...
 Alors vous demandez-vous, pourquoi me sentir coupable ? Et bien parce que je me sens concerné car la France reste mon pays malgré tout, et que j’ai un sens aigu du devoir civique et de la chose publique. Je ne suis pas comme ces voyageurs qui parcourent le monde l’esprit béatement ouvert à toutes les nouveautés culturelles ou spirituelles qu’ils croisent. A tort ou à raison (on s’en fout) je me trimballe avec mon bagage de gauchiste patenté. Je suis un être éminemment politique qui confronte sa grille de lecture subjective à la réalité de ce monde... Et pour l’instant je dirais qu’il colle assez bien à ma grille, le monde. Quelles que soient les sociétés que j’ai croisées pour l’instant, il y toujours d’un côté les exploiteurs, ou ceux qui aspirent à le devenir, et de l’autre les exploités. C'est un peu manichéen je sais, mais c'est comme ça.

Bref, tout ça pour dire que ce qui va se passer en France me touche, même si pour l’instant j’habite sur quelques mètres carrés de plastique, flottant au milieu de l’Atlantique. Et puis je vais peut être encore me faire enguirlander par des lecteurs, mais j’espère que Mélenchon va leur en mettre plein la gueule, voilà ! Vas-y Méluche ! Fais leur voir à tous ces cons que c’est l’humain qui doit passer avant toute chose. Montre leur qu’une utopie n’en n’est une que si on s’applique à ne pas vouloir la réaliser.
Moi j’en connais un bout sur les utopies... Je dirais même que je pratique l’utopie au quotidien ! Une utopie n’est pas un but, c’est une direction générale et on s’en fout si elle est viable, réalisable ou que sais-je : L’important c’est d’essayer, encore et encore, et c’est ça qui rend les gens meilleurs.
Je me fous de savoir si un jour je vais arriver à faire le tour de la planète avec mon canote, je m’en tape royalement le coquillard ! Ce qui compte c’est que là maintenant je suis dans mon bateau, et j’essaye...

10h50, démarrage moteur. L’aiguille du voltmètre d’origine est à zéro alors que le boitier de régulation des panneaux solaire m’indique que je suis à 12,8 Volts. Bizarre... Dans le doute je préfère booster mes batteries avec l’alternateur du moteur, on ne sait jamais.
J’en profite aussi pour envoyer un peu de toile à l’avant : 1/3 du Génois, à 130° du vent, à la limite de l’empannage. Je fais un cap au 215° alors que le GPS me dit que je fais du plein Sud... Ça veut dire qu’il y a 35° de dérive + dérivation... La vache !

11H30, je tente un petit film que j’ai l’intention de monter plus tard avec un fond musical. Et c’est là qu’apparaissent mes premiers (et mes seuls) dauphins. Ils croisent l’étrave de la Boiteuse quelques minutes et puis s’en vont... Au loin j’aperçois quelques poissons volants tous bleus qui décollent... Il n’y en n’a pas un qui aurait la bonne idée de venir se poser sur le pont du bateau, non ? Je suis sûr que Touline apprécierait.

12H00 Pommes de terre à la cocotte avec des tranches de jambon Serano... Miam ! Au fait, je viens de faire un point et nous en sommes à la moitié théorique du trajet. En ligne droite s’entend... Parce que là, vu le louvoiement c’est pas gagné. De même, ça fait 93 heures que je suis en mer, mon plus long trajet jusqu’à présent... Vitesse moyenne 4,8 nœuds, Mer Agitée, Nordet de 15 nœuds, cap au 210°... A ce train là on peut commencer à prévoir une arrivée pour mercredi en fin de journée...

Pardon ? Ne présume pas trop Capitaine ! Tu arriveras quand tu arriveras. Point barre. »
Oui mais quand même on peut déjà... »
J’ai dis non ! »
Mais heuuuuu... »
Ta gueule. »
Grumf ! »

15H00 : Point journalier : 132 milles en 24 heures. Pas mal !

Oups !
16H00, Je me suis bricolé un dispositif pour pouvoir relever le panneau solaire. J’ai utilisé la drisse de spi pour cela. Ça a l’air de tenir mais le souci c’est qu’il ne faut pas que j’oublie de l’enlever avant tout virement de bord ou empannage, sous peine d’arracher tout le bordel. Il reste 388 milles à parcourir... Je regarde avec inquiétude les drosses du régulateur... Je savais de par mes lectures de Moitessier que ça s’usait, mais pas à ce point là ! Vous croyez qu’en quarante ans ils ont amélioré la technologie des cordages ? Et bien il semble que non... Heureusement j’ai prévu le coup et j’ai de la longueur de rab ainsi qu’un jeu complet tout neuf... La question que je me pose est celle-ci : Est-ce que j’anticipe ou bien j’attends que ça pète ?
La réponse peut vous sembler évidente, mais j’aimerais bien que ça bouge un peu moins avant que d’aller faire le guignol sur le tableau arrière... C’est que mine de rien ça dépote pas mal...
Oh et puis merde ! Ça n’a pas trainé. Ni une ni deux j’ai mis mon harnais, j’ai branché Monsieur Pilote qui roupillait depuis le début de la traversé, j’ai pris mon couteau et je me suis penché (littéralement) sur le problème. En trois minutes chrono c’était bâché. En fait ça m’a pris plus de temps de re-régler le régulateur que de raccourcir ces fichues drosses ! Tien, j’y pense, peut-être qu’il faudrait que je change les poulies aussi... Elles ont beau être d’origine, c’est mieux si elles tournent non ?

18H30, un pétrolier me passe loin devant par bâbord. Où va-t-il ? Un pétrel de Castro vient virevolter autour de la Boiteuse. Et toi où vas-tu ?
Putain qu’on est bien là...

Le lundi 16 avril 2012

08H00, réveil sous un grain qui m’oblige à troquer le pantalon de toile contre le ciré. J’ai fais 68 milles pendant les douze dernières heures mais le vent à légèrement tourné et j’ai perdu en cap. Objectif du jour, grappiller de l’Ouest le plus possible. Reste 300 milles à parcourir en ligne droite. Mais si Eole ne me file pas un coup de main je vais devoir tirer des bords de grand largue et rallonger la route. A moins que...

Allez mon Génois !
09H00, après beaucoup d’effort étant donné la force du vent, je me suis résolu à complètement abattre ma Grand-Voile. C’est dingue les préjugés qu’on peut avoir, même en matière de voile. Pour moi, ne naviguer que sur la voile d’avant relevait de l’illogisme, et pourtant... La vitesse ne s’en trouve pas modifiée et l’inconfort en est accru, mais par contre niveau cap, c’est le top !
J’espère que le Génois va tenir le coup... D’où je suis à l’arrière je peux voir une déchirure que j’avais réparée et je constate que le scotch à voile est en train de se décoller...

Ça fait combien de temps que je suis dans la baston déjà ? Je ne sais plus, alors j’ai mis mes panneaux solaires en place. Je sais il n’y a aucun rapport.

Depuis samedi c’est la même chose. Ça se calme un poil pendant la nuit, puis au matin on remet le couvert pour servir les déferlantes et les embruns. Ce qui me rassure quelque part, c’est que je m’y habitue. Je n’ai même plus ce nœud au ventre quand je vois une grosse vague arriver par l’arrière. Quant à celles qui vous chopent par le travers, on ne les voit pas venir, alors pourquoi s’en soucier ?

10H20. A savoir. Ne jamais, je dis bien jamais, jeter quelque chose par-dessus bord si vous êtes dans le champ de vision de Touline. Car aussitôt, d’où qu’elle soit dans le bateau, elle se précipite pour le récupérer. Je viens d’en faire l’expérience avec une peau de banane, et c’est tout juste si cette conne ne la pas suivie...

12H00, sandwichs jambon-beurre.

14h10, je renvoie un peu à l’avant car le vent a baissé. Un demi Génois et on file toujours à 5,5 nœuds.

15H00, ça s’est bien calmé. Un petit avec F4 avec la houle qui décroit de minute en minute. J’en suis à 3/4 de Génois maintenant et on file toujours à bonne allure. C’est cool ! Je ne voudrais pas en demander trop, mais si je pouvais avoir une mer comme ça jusqu’à la fin ce serait le top. (Siouplait M’sieur !)
Je commence à entrevoir le petit souci que risque de représenter mon arrivée si je continue à ce train là, et comme d’habitude il s’agit d’arriver avant la nuit. Franchement je ne sais pas trop ce que peut donner un accostage de nuit au Cap Vert, alors soit on continue à fond les ballons comme ça en espérant arriver mercredi au coucher du soleil, soit on ralentit et on table sur une arrivée jeudi aux aurores. Cruel dilemme...
Bon, on va continuer comme ça et on verra bien. Pour l’heure j’apprécie tout de même un peu de calme et la douce tiédeur du vent. On est sous les tropiques merde ! Plus exactement au large de la Mauritanie. Le cap Blanc, le banc d’Arguin, tout ça...

Là, on est calé !
 Quand il fait bon naviguer comme ça, je m’amuse à regarder ma chatte. Il y a un truc chez elle qui me fait marrer, c’est sa capacité à « s’ancrer » pour roupiller. Comment vous dire... Bon, la place topissime pour roupiller quelle que soit l’allure du bateau, c’est bien sûr derrière les instruments. Là, pas de souci de gite, de roulis ou de tangage, la bête est calée de partout. Mais parfois ladite bête préférerait être plus proche de son maitre adoré (tu parles !), ou en tous cas à portée de vue. Dans ces cas-là, elle s’allonge quelque part et hop, on peut voir ses griffes sortir comme des grappins ! Et le plus drôle dans tout ça c’est qu’elle doit avoir un système de blocage au bout des pattes, car les griffes restent sorties même quand elle dort.

18H00, impossible de savoir si l’accalmie va durer ou pas. Pour l’instant je navigue à 150° du vent, Génois quasi déployé en entier par une mer que je qualifierais de calme. Très calme. Agréablement calme...Si ça continue à baisser comme ça, la question de l’arrivée de nuit ne se posera plus.

19H45, le vent remonte, je réduis un peu la voilure... En fait, le principal boulot du marin, en tous cas le mien, c’est s’adapter aux éléments. De faire avec. Ça a l’air banal ce que dis là, mais si l’on y réfléchit un peu ça implique pas mal de choses... De mon point de vue, celui que j’ai là en ce moment sous les yeux, on ne lutte pas avec Mère Nature, on coopère avec elle et c'est pour moi une évidence. Mère Nature, Pachamama, Eole ou Neptune, on s’en tape de la façon dont on l’appelle, quand vous êtes en plein océan vous ne pouvez que composer avec ce que vous rencontrez... Vous vous adaptez, et surtout vous ne la ramenez pas. Face à cette incroyable domination, qui va de paire avec une formidable générosité parfois, le marin se fait tout petit, respectueux, et plie.
Et bien vous voulez que je vous dise ? Personnellement c’est bien la seule chose devant laquelle j’accepte volontiers de plier maintenant.

20H00, un petit cassoulet et au lit ! Non, avant je vais quand même attendre le coucher du soleil... Des fois qu’il serait plus beau que celui d’hier !

A suivre pour une dernière partie.

Coucher...
Lever !

samedi 21 avril 2012

Vers le Cap Vert - Première partie

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente

Le mercredi 11 avril 2012

14H00, il est temps de larguer les amarres et de quitter cette charmante ile qu’est la Gomera. J’aime bien partir à l’heure pile, ça facilite la tâche ensuite lorsqu’il s’agit de faire des comptabilisations, des moyennes, etc... On est pas à cinq minutes près je vous l’accorde, mais un peu de rigueur mathématique ne nuit pas au marin vagabond.
Bref, 14H00, le port est payé, la Touline est enfermée dans sa cage, l’électricité débranchée, il n’y a plus qu’à partir. Je tourne la clef pour démarrer cette chère Mercedes et... Rien. J’entends bien le démarreur qui vrombit et s’échine à balancer la sauce, mais le moteur n’accroche pas. Petit moment de solitude. Je réfléchis et tout un tas de pensées se bousculent dans ma tête ; Peut-être que lorsque j’ai changé la vanne d’admission d’eau de refroidissement j’ai débranché quelque chose ? Non, franchement je ne vois pas... Au bout de quelques minutes à fouiller un peu partout à la recherche d’un truc qui me semblerait à moi évident (je vous laisse imaginer la gageure !), je baisse les bras et me mets à la recherche d’un mécano.

Pas de bol, comme je l’ai dit il est 14H00 (et des brouettes maintenant), et je défis quiconque de trouver quelque chose d’ouvert en Espagne à ces heures là. J’avise alors un catamaran français arrivé il y a peu mais avec qui je n’avais pas encore lié connaissance et je décide d’y aller au culot. Le skipper, un type sympa d’une soixantaine d’année m’accueille avec gentillesse, écoute mon histoire et me dit « T’as essayé de lui mettre un coup de marteau au cul à ton démarreur ? »
Devant mon incrédulité face à cette solution barbare, il se dévoue, termine vite fait son café et m’accompagne pour jeter un œil. Un coup de marteau, deux coups de marteau. « Vas-y essaye ! »... VROUM !
J’en suis resté con.

Tout ça pour dire que c’est finalement à 15H00 que je suis enfin parti. Merci à toi ô homme plein de sollicitude ! Je n’ai hélas retenu ni ton nom ni celui de ton bateau, mais je me souviendrai longtemps de ton coup de marteau !

El Teide !
16H45, le vent est bien établi au NNE, pile au vent arrière. J’ai deux ris dans la Grand Voile et le Génois déroulé au ¼. La mer est frisée et la visibilité claire. Très vite je me dégage de la côte et je peux alors apercevoir un spectacle que je n’avais jusqu’alors pas réussi à apprécier, le Teide qui surplombe de ses 3715 m l’ile de Tenerife. En fait au bout d’un moment je vais même réussir à voir en même temps, Tenerife, la Gomera et El Hierro. La moitié de l’archipel en un seul regard.

19H45, le téléphone sonne et j’ai bientôt Eric Lange au bout du fil. Enfin, l’expression « au bout du fil » n’a jamais eu aussi peu de sens que ce soir. Je suis en pleine mer, et je papote avec un animateur de radio à Paris ! Je m’installe sur les marches de la descente pour être stable et me mettre à l’abri du vent, et Touline vient se nicher sur mon épaule. Le cliché du marin solitaire félidophile dans toute sa splendeur !

20H00, le soleil se couche sur El Hierro. Je consulte mon estomac, mais celui-ci me répond qu’il n’est pas prêt à avaler quelque chose. Tant pis, on ira se coucher sans manger.
La nuit fût des plus correcte. Je veux dire par là que j’ai bien dormi. On est sur du long cours maintenant, alors plus la peine de se relever toutes les heures pour faire un point de la situation. Un coup d’œil de temps en temps, un point GPS toutes les quatre heures et basta. Le Mer-Veille et l’AIS font le boulot... La mer est vide.

Le jeudi 12 avril 2012

Barracuda suicidaire
08H00, le soleil se lève. J’ai pas mal avancé pendant la nuit et dans le bon sens, alors je suis content de moi.
Ce matin j’ai trouvé un poisson au bout de ma lige de traine. Mon premier poisson !!! Un truc du genre barracuda de 80 cm, avec une mâchoire cauchemardesque. Il a mordu pendant la nuit et s’est épuisé tout seul. Je le sors pour l’immortaliser : Son ventre est ouvert et ses entrailles pendouillent, j’imagine que ses congénères ont dû lui faire sa fête alors que lui-même se débattait pris au piège. Pour ma part je suis encore un peu « flagada du ventre » alors je ne me sens pas de me lancer dans une séance de dépiautage. Je lui choppe ce qui lui reste de mou dans le ventre pour Touline, et je le balance à l’eau. (Après enquête de votre serviteur il s’agissait bien d’un barracuda)

12H00, Je fais un point et je tente de m’alimenter. Curieusement c’est avec bon appétit que je dévore mes sandwichs à la mortadelle et une belle part de fromage de chèvre « humado » acheté à la Gomera, et une crème au chocolat pour clore le tout.
Touline elle se contentera de lécher le beurre. Elle a vomi la part de poisson de ce matin et boit énormément, ce qui confirme donc que les chats, même les chats de mers, on le mal de mer. C’est logique en même temps... Non ?

Pendant tout l’après midi, ce fut pétole. C’est éprouvant d’entendre constamment les voiles battre, la bôme claquer... Ça fait mal quelque part, dans un coin de mon cerveau, comme si je prenais ma part de la souffrance qu’endure mon matériel. Le bon côté des choses (il en faut toujours un) c’est que même si on se traine à moins de trois nœuds, le soleil brille et les batteries sont à bloc.

20H00, un point et un repas chaud. Pâtes au fromage de chèvre et le reste de mortadelle.

La nuit fut calme, un peu comme la précédente. A la différence que j’ai gardé Touline avec moi pendant la majeure partie du temps pour enfin décider de l’enfermer. Parce qu’une chatte qui joue à courir partout la nuit dans un cockpit est une chatte morte. Ou alors elle a un maitre qui ne dort pas... Et de deux maux j’ai choisi le moindre. Résultat elle s’est vengée en déchiquetant de manière systématique un rouleau de PQ que j’avais oublié de planquer. Je ne vous dis pas le bordel au matin !

Le vendredi 13 avril 2012

Rock & Roll !
08H00, le jour se lève et la mer aussi. Un bon café chaud et on attaque la journée. Tout d’abord en changeant d’amure, puis de cap. Pendant la nuit j’ai beaucoup trop fait d’ouest et pas assez de sud, il s’agit donc de rectifier le tir. Je change également ma ligne de traine avec mon super-leurre à trois millions de dollars qu’un prédateur inconnu a sectionné d’un coup de dent. Mémo pour moi-même, faire des bas de ligne en acier.

Petit tour sur le pont pour vérifier que tout va bien. J’étarque la balancine qui grinçait depuis la veille. Je vérifie le Génois ; il a l’air bien. Le nouveau lé que Paxin m’a mis est nickel. Je regarde mes ris. Je suis assez fier de l’amélioration que j’y ai apportée, deux boutes ligaturés pour en faciliter le crochetage. J’ai piqué l’idée à mon voisin Simon. Et tenez-vous bien, j’ai poussé le vice jusqu’à ce qu’ils soient de couleurs différentes, Un rouge et un vert en fonction du côté du bateau où il faut les crocheter. A ce point là, ce n’est plus de la bricole, c’est de l’art.

Un œil sur les fonds, toujours
11H00 Merde, je prends l’eau. Beaucoup d’eau. J’ai une voie d’eau ! Et en plus j’ai l’impression que la pompe manuelle du cockpit a rendu l’âme.
Une heure plus tard après avoir sorti presque 80 L de flotte, au seau et à l’éponge, je ne sais toujours pas ce qu’il se passe. J’ai fermé la vanne de l’évier au cas où, mais je doute que ça soit ça. J’ai bien une idée, mais je ne suis pas sûr... Hier j’avais déjà pas mal de flotte, et j’ai eu beaucoup de mal à la pomper avec la pompe de cockpit... Et tout à l’heure j’ai trouvé au moins trente litres d’eau de mer propre dans la partie arrière du bateau... Aurais-je niqué la pompe à trop forcer, et puisé de l’eau en même temps que vidais les fonds ? C’est possible ça ?
Tout est clair maintenant, la voie d’eau est semble t’il étalée (c’est comme ça qu’on dit). J’ai laissé le regard ouvert pour garder un œil sur la situation. On verra bien.

15H00, je viens de faire le point journalier. 104,7 milles en 24 heures. C’est pas fameux mais ça reste honnête. Surtout ça veut dire que je peux rejoindre le Cap Vert en moins de huit jours.

Après midi pétole... Limite je me fais chier.

19H25, bateau en vue par tribord avant. Le premier depuis deux jours. Un pétrolier qui remonte vers le Nord. Ni l’AIS, ni le Mer-Veille ne l’accrochent ce qui veut dire que ce con navigue sans AIS et radar éteint. J’espère qu’il y a au moins quelqu’un sur la passerelle...

Bonne nuit !
20H30, à cause de l’incident de la mi-journée j’ai plutôt zappé le repas de midi, aussi j’ai décidé de me rattraper ce soir. Deux gros bols de soupe au potiron avec des morceaux de pain pour faire trempette et une lichette de crème fraiche pour le plaisir. Ça ne valait pas celle que mon père nous faisait dans mon enfance, mais je m’en suis quand même enfilé un litre et ça m’a bien calé l’estomac.
Le soleil se couche. Je jette un dernier regard au spectacle, avant de me glisser dans mon duvet. Il fait déjà plus chaud, je n’ai même plus besoin de mon blouson...

Le samedi 14 avril 2012

La nuit fut sportive. Sitôt le soleil couché, le vent s’est renforcé pour s’établir NE, à 15-20 nœuds. Nickel. La Boiteuse a filé à bonne allure toute la nuit, faisant ainsi remonter ma moyenne qui jusqu’alors n’était pas fameuse (4,4 nœuds).
Au matin le vent est toujours là mais j’ai une petite houle croisée de merde qui me chope de temps en temps par le travers. Même si le Régulateur se comporte comme un chef, ça reste assez acrobatique lorsqu’il s’agit de se déplacer.
Je te vois...
Justement, alors que je venais de me faire une deuxième tasse de café et que j’avais réussi à la transporter avec succès à l’extérieur sans en renverser une goutte, c’est cette garce de chatte qui n’a rien trouvé de mieux que de me sauter sur le bras. Badaboum, le café brulant sur les genoux. « Putain Touline !!! ».
D’ordinaire Touline est une chatte plutôt indépendante, mais en mer elle semble retomber en enfance (elle n’a que 7 mois en même temps...). Il faut qu’à chaque seconde elle puisse avoir un œil sur moi, sinon ça va pas. Un chat a beau dormir en moyenne 16 heures par jours, le reste du temps il faut qu’il se dépense. Et pas toujours quand il le faut pour moi et la bonne marche du bateau. Imaginez que je fasse un empannage par exemple... Une écoute qui file c’est comme une invitation pour elle. Pire, une provocation !

Pour l’heure Mademoiselle est enfermée et j’écoute ma musique... Au début je n’aimais pas trop avoir les écouteurs vissés aux oreilles parce que ça m’empêchait d’entendre les bruits du bateau. Mais peu à peu je m’y fais et j’apprécie de pouvoir mettre un fond mélodieux sur la mer en mouvement. A chaque type de mer peut correspondre un style musical... Là par exemple le bon rock bien gras d’Evanescence convient parfaitement.

10H45, je suis content. La « voie d’eau » semble s’être résolue d’elle-même, et La Boiteuse avance très bien en grignotant peu à peu son retard. 5,5 nœuds de moyenne sur les dernières douze heures, c’est pas mal. Pourvu que ça dure !
Et logiquement ça devrait durer au moins quarante huit heures, en tous cas c’est ce que me disent les fichiers météo que j’ai pris avant de partir. En même temps ils datent déjà de trois jours et beaucoup de choses peuvent évoluer en trois jours. Tout ce qu’on peut dire c’est qu’un renforcement du vent était prévu pour le weekend, et qu’apparemment le voilà.

En voilà une !
Je viens de me rendre compte d’un truc. J’ai plus souvent l’habitude d’avoir les yeux braqués vers l’arrière de mon bateau que vers l’avant... Bon, il y a certainement une bonne explication à ça. La terre la plus proche est derrière, et puis j’aime regarder mon régulateur fonctionner avec ses petites ficelles qui dirigent ma barre. Je reste baba devant son efficacité... Ca me sidère qu’un type ait un jour inventé un truc aussi simple et aussi performant. Est-ce qu’au moins il a une statue à son nom le type qui a inventé ça ? (c’est qui d’abord ?) Ou un square ? Il le mériterait moi j’vous le dis.
En plus, devant il n’y a pour l’instant rien à voir... A part l’horizon qui ne change pas. Le spectacle il est derrière, avec ses grosses vagues qui se précipitent vers vous... On anticipe l’accélération que celle là (oui, la grosse qui arrive) va vous apporter, et on goutte le plaisir de voir que le régulateur vous la fait prendre pile dans l’axe... Shussssssss... Ce jour là, je suis monté à 11,5 nœuds en glissant tel l’hawaïen moyen.

En parlant de regarder en arrière, ça me fait penser que j’ai omis de vous raconter un truc.
Lorsque j’ai rallié la Gomera, en prenant en main pour la première fois mon régulateur j’ai explosé mon feu arrière avec mes fesses (Non, elles ne sont pas grosses, c’est le feu qui est mal placé), ce qui fait que j’ai navigué toute la nuit avec seulement les feux avant vert et rouge. Et bien ce feu cassé m’a permis de découvrir un spectacle qui confine à la féérie.
Je vous ai déjà parlé du plancton phosphorescent qui faisait comme des étoiles scintillantes le long de l’étrave de la Boiteuse, et bien ce n’est rien comme spectacle par rapport avec ce qui se passe dans le sillage... Imaginez comme si le bateau était comme une fusée qui laisserait derrière elle une trainée de lumière verte... Comme un halo mystérieux qui de temps à autre laisserait naitre en son sein des novas vertes, des explosions de lumière qu’on pourrait suivre sur des dizaines de mètres... Bing ! Bang ! Boum ! Un vrai feu d’artifice unicolore avec ces grosses boules qui explosent au hasard, et qui donnent envie de crier comme un gamin «  Oh la belle verte ! ».
Maintenant que mon feu et réparé, je vous avoue que je tarde souvent à allumer mes feux de navigation, juste pour contempler le spectacle... Je me tiens debout, accroché au pataras, et je me régale. Bon histoire d’apporter une caution scientifique à tout ça, les explosions c’est quand le navire percute des méduses mangeuses de plancton.

Bon, où j’en étais moi ? Ah oui, ok...

Chauffe Marcel !
12H35, pâtes au fromage (oui je sais, encore). Le vent reste fort, un bon F5 bien tassé. Une dernière retouche au régulateur et on va tenter un petit sieston.

20H00, court le sieston... Le vent est monté et la mer s’est creusée d’autant me rappelant un peu les conditions que j’ai eues au large d’Essaouira. Du F6 bon teint avec déferlantes et embruns à la clef ! Bref on a été un peu secoué pendant tout l’après midi, mais ça commence à se calmer... On file nos 6 nœuds tout de même et j’ai l’impression d’être dans le tambour d’une machine à laver. Au moment où j’écris ces mots, une putain de grosse vague surgit par le travers et couche la Boiteuse sur le flanc. Je m’accroche, j’imagine que Touline doit faire de même à l’intérieur. C’est drôle, je ne l’ai pas vue à l’extérieur de l’après midi celle là !
Bon allez, on va essayer de se préparer quelque chose à bouffer, mais c’est pas gagné. Je me laisserais bien tenter par une boite de Callo con Garbanzos... (Autrement dit des tripes avec  des pois chiches)

Plus tard. Ça y est ! Et accrochez-vous j’en ai même profité pour faire la vaisselle ! C’est pas compliqué, il suffit de se pencher avec l’ustensile à laver dans une main, la gratounette dans l’autre. Vous attendez le coup de gîte qui va bien, et hop c’est fait ! Y’a même plus besoin de rajouter du sel pour le prochain repas !
En plus l’eau est chaude je ne vous raconte pas... Enfin si, je vous raconterai ça demain matin !

A suivre.

Côte sud de la Gomera

Ça c'est un petit F2, histoire que vous fassiez une idée
Et ça c'est du F5