mercredi 20 mars 2013

Bienvenido en Argentina !

34°26.602S 58°31.795W
Buenos Aires, Argentine

Club de Veleros Barlovento
Comment on fait pour descendre à terre ? Telle a été ma première question lorsque nous sommes arrivé au Club de Veleros Barlovento... En fait, ce n'est pas tant la question qui me taraudait que la réponse que je devinais déjà.
Entendons-nous bien, je ne prétends pas être un exemple en matière d'ouverture d'esprit, loin de là. Je reconnais même qu'il m'arrive d'être assez têtu (parfois), et que je ne suis pas le chantre de la flexibilité (souvent)... Mais, sans pour autant m'être fait des films sur ce qui m'attendait à mon arrivée, j'avais en tête le schéma classique de ce qu'est une marina. Et ce schéma comportait, excusez du peu, la possibilité de descendre de mon bateau pour mettre pied à terre au sens le plus plein du terme.
Et là... Les bateaux sont amarrés sur pendilles. Une à l'arrière et deux à l'avant, attachées à une grosse chaîne sur la rive. Quelque soit la marée, le bateau reste au minimum à quatre mètres de la rive et la seule façon d'en descendre est donc d'utiliser son annexe, ou encore la lancha. Alors, au risque de passer pour un pointilleux, et je m'excuse de le dire, on est quand même plus proche du mouillage que de l'amarrage.

Chanceux !
Aussi, après une journée de nave relativement stressante, c'est avec une certaine mauvaise humeur que, quelques minutes après notre arrivée, je me suis mis à gonfler mon annexe afin d'aller me brancher à l'électricité.
Le souci voyez-vous, c'est que Miss B est plutôt mal en point... Je dirais même qu'elle est proche de la fin, voire même qu'elle est carrément foutue. C'est bien simple, l'air s'en échappe presque aussi vite que le gonfleur peut l'y faire rentrer ! Nous avons beau avoir tenté de la réparer avec Zoë lorsque nous étions à la Paloma, mais désormais avec trois fuites majeures recensées (plus sans doute deux autres secondaires), mon annexe est à bout de souffle.
J'ai juste eu le temps de faire l'aller-retour pour brancher le câble électrique, que Miss B coulait déjà. Résultat, nous avons passé notre première nuit en Argentine, au chaud certes, mais avec une vague impression d'être prisonniers de notre propre bateau... Même Touline regardait avec envie cette berge si proche et pourtant inatteignable.

Pas mal quand même...
Le lendemain matin, mon humeur était toujours aussi massacrante. Le jour était à peine levé que je tournais déjà comme un tigre dans sa cage. Et à peine Zoë debout, je l'ai planté là pour partir à la recherche d'un autre endroit où amarrer La Boiteuse. Je sais, c'est pas bien de planter sa compagne. Mais bon...
J'ai marché pendant des kilomètres et ai visité je ne sais plus combien de marinas. Quatre, cinq... Et à chaque fois l'on m'a fait le même discours : C'est complet. Ou alors qu'il fallait être un « socio » pour avoir une place. Un socio ! Depuis le Brésil je hais ce mot !
Bref, tout ça pour dire que lorsque je suis rentré au bateau pour retrouver Zoë, j'étais tout déconfit. Déconfit certes, mais toujours énervé et toujours déterminé à me barrer de Barlovento le plus vite possible.

L'après-midi, rebelote, je suis repartit à la recherche d'un nouvel havre, mais cette fois-ci dans le sens contraire, en remontant le fleuve. Cette fois-ci Zoë m'accompagnait, n'osant piper mot... Même si elle ne comprenait pas trop pourquoi je me butais comme ça.
Et au bout de la quatrième marina nous avons enfin trouvé notre bonheur ! Certes, l'endroit était plus moche et plus cher, avec pratiquement que des bateaux à moteur inhabités, mais l'on se trouvait juste à côté d'un magasin d'accastillage et d'un supermarché, et en plus avec de vrais pontons flottants !
Aussitôt, nous avons réservé la place (c'était la dernière en plus) pour le mardi suivant, promettant à la gentille dame de l'accueil de déménager après avoir fait nos papiers d'entrée sur le territoire. J'étais content de moi, car désormais tout allait être beaucoup plus pratique.

Un Cardinal future Pape ?
Le dimanche en fin d'après-midi, je me suis installé dans le cockpit pour fumer ma pipe et regarder le soleil se coucher. La lancha faisait la noria pour récupérer les équipages sortis pour la journée. Les pins et les peupliers se balançaient doucement dans le vent. Dans les frondaisons, raisonnaient des chants d'oiseaux. Une oie tortillait du croupion en cancanant entre deux voiliers. Sur la rive, un ragondin vaquait à ses affaires... Tout était calme et paisible. Je crois que c'est à ce moment que j'ai commencé à douter du bien fondé de mon entêtement. J'avais sous les yeux une vision enchanteresse, et dans mon esprit se superposait l'image de cette autre marina vers laquelle je souhaitais aller, et qui ressemblait à un parking... Et les avantages que j'y avais vu quelques heures plus tôt, disparaissaient un à un face à la beauté des lieux.
Le lendemain matin, à l'heure où l'aube pointe le bout de son nez et éclaire d'une lueur diffuse les bateaux encore endormis (quel poète!), j'ai de nouveau apprécié la douceur de cet endroit. Qu'importe qu'il faille être tributaire d'une lancha pour descendre à terre. Qu'importe qu'il me faille sans doute investir dans une nouvelle annexe. Qu'importe qu'il nous faille marcher plus longtemps pour nous ravitailler. Qu'importe que Touline ne puisse pas grimper aux arbres... Tous ces petits désagréments ne valaient pas un pet de lapin face à ce spectacle.

J'en ai alors parlé avec Zoë, histoire de voir si nous étions sur la même longueur d'onde... Et nous l'étions. Pour elle aussi, même si tout n'était pas comme nous le souhaitions, mieux valait rester dans ce magnifique endroit plutôt que de risquer la dépression, seuls au milieu de tout ces yachts à moteur où personne ne vivait.

A Tigre, voici les bus !
Nous étions le lundi matin, et la décision de rester étant prise, nous avons entrepris de faire notre entrée officielle en Argentine. Depuis l'Uruguay déjà, nous entendions dire que les démarches administratives nécessaires à l'entrée sur le territoire Argentin étaient assez compliquées, et surtout empruntes de suspicion. En effet, l'Argentine subit de plein fouet la crise financière internationale (j'y reviendrais très certainement), et tente de résister en favorisant la production nationale, et en fermant ses frontières à certaines importations non essentielles. Conséquence directe, tous les propriétaires de voilier (produit non-essentiel s'il en est) se présentant aux frontières sont d'emblée soupçonnés de vouloir introduire en douce leur embarcation.
Ceci dit, l'Argentine étant un état fédéral, la défiance est assez inégale et l'on peut trouver des districts plus accueillants que d'autres. Manque de bol, Tigre, le port dont nous dépendons, semble détenir la palme de la suspicion.
Un couple averti en valant deux, c'est en étant préparés au pire que nous avons commencé par l'immigration... Et bien croyez-le ou pas, tout c'est très bien passé !

Une fois avoir payé la tasa de reciprocidad pour Zoë (160 USD, valable pour dix ans), nous avons obtenu notre visa en deux coups de cuillère à pot. Puis nous sommes passé dans le bureau d'à côté où les douaniers ont été tellement sympas qu'ils nous ont conduit eux-même en voiture jusqu'à la prefectura pour faire valider notre entrée auprès des autorités maritimes, et nous ont ramené ensuite au centre ville. Non sans nous avoir indiqué un resto sympa au passage !
C'est bien simple, en une heure et demi tout était réglé. Et comme dit un ami à moi : Il n'est pas interdit d'avoir de la chance !

Passerelle spéciale chatte-baladeuse
Nous voici donc officiellement en Argentine, patrie du nouveau pape Francisco et de Maradona (Le lien ? La main de Dieu sans doute !). Pour l'heure, nous courrons les shipchandlers, les voileries et les chantiers afin de comparer les prix avant que de nous lancer dans les travaux de remise en état de La Boiteuse. Touline dispose désormais d'une planche pour aller se dégourdir les pattes sur la terre ferme (après son 29ème bain forcé cela devenait urgent !), et nous nous habituons à dépendre de la lancha. Peu à peu, nous faisons connaissance avec nos voisins résidents, surtout composés d'allemands, et nous essayons de profiter de ce début d'automne un peu frisquet. D'ici le début du mois prochain nous serons prêt à attaquer le gros du boulot. Mais d'ici là... On va essayer de profiter de la vie !

Terminal des bateaux-bus
Myocastor coypus

mercredi 13 mars 2013

De l'Uruguay à l'Argentine

34°26.602S 58°31.795W 
Buenos Aires, Argentine 

Adios Colonia !
Nous sommes donc samedi 09 mars, et il est précisément 11H00 lorsque j'attrape enfin mon cahier à spirale pour commencer à prendre des notes sur cette navigation. Nous sommes partis depuis plus d'une heure maintenant, et je me rends compte que je me laisse un peu aller en ce qui concerne la tenue de mon journal de bord (je sais, je vous ai déjà parlé de mes soucis d'auteur, aussi je n'y reviendrais pas). Pourtant, il y a de quoi prendre des notes puisque La Boiteuse est en route pour une nouvelle étape de son voyage, l'Argentine. Ou plutôt la banlieue ouest de la ville de Buenos Aires, au Club de Veleros Barlovento, dans la ville de Victoria, district de San Fernando (On va dire Buenos Aires, c'est plus simple). 
 Le temps est beau, et nous avançons à quatre nœuds au près serré dans une mer belle, bien que d'une couleur douteuse comme il se doit dans le Rio de la Plata. Ce matin nous sommes partis à deux bateaux, avec nos amis argentins Daniel et Suzana à bord de leur Vulevu. Cela me rassure que de savoir qu'un autochtone ouvre la voie dans cette mer si fantasque et si peu profonde. D'ailleurs peut-on réellement parler de mer ? A Colonia j'ai goûté l'eau, et c'était de l'eau douce. 

Attention au NGV !
Perso, je vous avoue que je suis assez content de quitter l'Uruguay... Non pas que j'ai n'ai pas apprécié mon séjour de deux mois dans ce pays, l'ambiance qui y règne étant assez sympa, mais disons que j'ai hâte de passer à autre chose. La Boiteuse a besoin de se refaire une beauté, et moi de me reposer un peu. Car si l'on y regarde bien, je suis en mode « navigation » depuis bientôt six mois, et je commence un peu à en avoir ma claque. J'ai vraiment envie de me poser pendant un long moment au même endroit et de profiter du temps qui passe sans avoir à me soucier de la météo, ni de la route que j'ai à faire. 

11H30 : Je suis un bourrin me dis-je en regardant l'état de ma Grand-voile. J'ai oublié d'y jeter un œil avant de partir, et résultat ; les sparadraps que j'ai utilisé pour la réparer la dernière fois sont en train de se décoller. Vivement qu'on arrive. J'ai entendu dire qu'il y avait un bonne voilerie à Buenos Aires, et je ne serais pas contre une nouvelle GV bien épaisse et bien lattée. C'est une misère que de la voir ainsi, toute déformée et toute couturée. 

5° sur tribord tu dis ?
12H30 : Nous avons perdu notre petit bateau pilote. Je ne sais pas trop comment il arrive à faire ça, mais le fait est qu'il remonte beaucoup mieux au vent que nous. Enfin si, je sais : sa coque est toute propre et sa GV en bon état. Il n'y a pas de secret... La Boiteuse n'est plus aussi performante. Qu'importe, le Rio est plein de voiliers qui vont dans la même direction et je n'ai qu'à suivre le flot. Cela dit, je me sentirais quand même mieux avec un sondeur qui marche. Selon la carte, nous n'avons actuellement que 1,30 m de flotte sous la quille... 
Pour l'instant nous tenons une bonne moyenne, 3,7 nœuds, mais le cap laisse à désirer. Cependant, je pense toujours, j'espère, arriver à l'embouchure du Rio Lujan pour 18H00 (heure uruguayenne), et le point culminant de la marée. 
Je vois de plus en plus de débris végétaux qui flottent au fil de l'eau. Il ne manquerait plus qu'on se paye un tronc d'arbre ! Malgré mon envie de faire une sieste, je redouble de vigilance, les yeux fixés sur l'étrave. 

15H00 : Allumage de Mercedes. La nave est belle, mais il ne s'agirait pas de rater la marée. Le moteur en appui des deux voiles, nous filons à 5,2 nœuds. C'est pile ce qu'il nous faut pour être à l'heure. 

Buenos Aires
15H40 : On voit bien Buenos Aires maintenant. C'est énorme... Avec tous ces gratte-ciels, Zoë est « enthusiastic » ! Ça doit lui rappeler New York. Moi par contre je le suis un peu moins. Mais bon, je pense qu'il est inutile que je revienne là-dessus, vous connaissez ma position par rapport aux grandes villes. 
En fait, je me rends compte que j'ai du mal à apprécier cette nave. Je suis tendu comme un string, attentif au moindre bruit suspect. J'ai vraiment hâte d'arriver, et surtout d'arriver sans casse. 

 17H30 : Nous sommes au moteur depuis deux heures et demi maintenant. J'ai poussé un peu les chevaux pour pouvoir être dans les temps, mais malgré tout je vois l'horloge du bord égrener les minutes inexorablement. Ça va être juste. 
La carte indique un fond de 1,90 m. J'ai beau savoir que la marée apporte 1,30 m d'eau supplémentaire, je ne me sens pas tranquille. 

Le Vulevu en éclaireur
 17H55 : Surprise ! Vulevu est en vue sur tribord arrière, alors que ce matin il nous semait de belle façon ! Tant mieux, je préfère ça. Je n'ai plus qu'à me laisser guider. Nos deux bateaux se rapprochent, et nous nous insérons dans la circulation. Car on peut bien parler de circulation maintenant : Je ne sais pas combien de voiliers j'ai sous les yeux, mais je crois bien que c'est la première fois que j'en vois autant de ma vie. En plus, il semblerait qu'il y ait une régate... 
Le top en matière d'exotisme, c'est de croiser un type tranquillement assis à l'arrière de son 30 pieds, barre franche dans une main et bol de maté dans l'autre ! Décidément, l'argentine est un pays de voileux ! 

Oups ! Y'a du monde sur l'eau !
19H00 : Nous avons franchis la dernière bouée du chenal et nous commençons à remonter le Rio Lujan. Un a un, les voiliers s'engouffrent dans leur marinas respectives... Derrière les frondaisons je peux apercevoir des bâtiments aussi luxueux que magnifiques... C'est dingue, je crois qu'on pourrait presque parler de yachting-ghetto. Il y a pratiquement une marina tous les cent mètres, et la notre est la cinquième sur la gauche. 

Comment on descend ?
19H30 : La Boiteuse franchit l'entrée de la marina, protégée par deux murs en béton. Nous tournons en rond quelques minutes, l'air un peu perdu. Une lancha s'approche, et son pilote nous indique qu'il n'y a pas de place disponible. 
Merde ! Je ne m'étais pas attendu à ça... J'insiste un peu, précisant que nous avons l'intention de rester un bon moment pour des travaux, et donc que nous avons du pognon à dépenser. Là, comme par miracle, le lanchero nous trouve une place tout au fond. J'arrête le moteur, nous sommes arrivés. L'amarrage est facile, même pas besoin de se servir de nos propres lignes, car tout est sur pendilles, à l'avant comme à l'arrière... Et c'est là que je commence à tiquer. Comment on fait pour descendre à terre ? 
Nous passerons cette première nuit en Argentine, au mouillage, à cinq mètres de la terre ferme... 

 A suivre ! 

Le Rio Lujan et ses marinas...

lundi 4 mars 2013

La bataille

34°28.130S 57°51.216W
Colonia del Sacramento, Uruguay

 Le samedi 02 Mars 2013

Tout est calme
 C'est la fin de l'après-midi et la Boiteuse se dandine au bout de ses amarres. Le vent est à l'ouest depuis ce matin, et la houle courte et nerveuse du Rio de la Plata contourne la pointe de la jetée, épargnant la majorité des voiliers au mouillage. Le contraste est frappant. Au loin, on aperçoit la crête des vagues qui s'envolent, moustaches de crème sur une mer café au lait, alors que l'eau frissonne à peine tout autour du bateau. Malgré le mugissement continu du vent qui frappe le haut de la mâture, malgré le grondement des vagues qui se fracassent de l'autre côté du mur de pierre, La Boiteuse est en sécurité et je peux enfin me décontracter et réfléchir. Enfin. 

C'est que la nuit dernière les choses n'ont pas vraiment été propices à la sérénité... Loin de là. Pour commencer, le vent n'était pas à l'ouest, mais au nord. Ouest, nord, qu'elle différence, hein ? La différence elle est de quatre-vingt dix degrés, pourrais-je vous rétorquer, et c'est très exactement la différence d'angle qu'il y a entre l'enfer et le paradis. 
Lorsque nous sommes allé nous couché hier au soir, après avoir regardé quelques épisodes de la saison deux de The Wire (excellente série au demeurant), le vent soufflait par l'arrière de La Boiteuse, la faisant danser la gigue dans une eau légèrement chaotique, mais sans plus. Mais que ce soit pour Zoë comme pour moi, nous ne sommes pas parvenu à trouver le sommeil tellement le bateau tirait violemment sur ses amarres. Au bouts d'un moment, un choc plus violent que les autres nous a obligé à nous habiller pour vérifier que tout allait bien. Et tout n'allait pas bien.

Le vent soufflait tellement fort qu'il soulevait une mer très courte de plus de cinquante centimètres, qui venait frapper le bateau par le quart arrière, le faisant voltiger en l'air comme un vulgaire bouchon de liège. Parfois même, une résonance particulière faisait que son mouvement s’amplifiait jusqu'à faire bondir La Boiteuse en avant, dangereusement près du quai. Il devait être une heure et demi du matin environ, et nous nous sommes attelé à la tâche pour consolider l'amarrage autant que possible. Le bateau bougeait tellement que l'on tenait à peine debout, comme si nous étions en mer. Je décide de doubler l'une des deux amarres au vent. A peine avais-je terminé de frapper au taquet la nouvelle amarre, que l'ancienne lâche. Ouf ! On n'est pas passé loin. 
 L'idéal dans ces conditions, serait de reprendre par l'arrière bien sûr, mais la tension est telle que la tâche s’avère impossible. Imaginez que je laisse filer la ligne plutôt que de la souquer... C'est un coup à se retrouver plaquer contre le quai, et l'on n'aurait retrouver des petits bouts de Boiteuse au matin. 
A quelques mètres, nos voisins argentins, Suzana et Daniel, sont eux aussi sur le pont car leur petit voilier de 10 m est en danger, autant que le notre. Mais hélas, pour eux comme pour nous, il faut bientôt se rendre compte, qu'à part consolider tout ce qu'on peu nos bateaux sont beaucoup trop près du quai et qu'il est impossible de les en éloigner. 
Il ne reste plus qu'à attendre. Pendant un moment nous nous installons de l'autre côté de la jetée, à l'abri du vent et face à la la mer. J'ai sorti mon anémomètre de poche et de temps en temps je monte sur les pierres pour prendre la mesure de ce que nous vivons. 30 nœuds établis, rafales à 40... C'est du sérieux. 
Huit secondes de vidéo pour que vous vous rendiez compte.



Au loin les éclaires illuminent les nuages et l'on distingue les lumières de Buenos Aires. Nous sirotons un maté en admirant le spectacle. Soudain j'entends un grand Boum ! Ça y est, ce que je craignais vient d'arriver, l'étrave de La Boiteuse vient de frapper violemment le quai en béton. Je me précipite mais cela ne sert à rien de courir car le mal est déjà fait... L'échelle qui nous permet de grimper à bord a perdu un barreau... Cette même échelle, du haut de laquelle je me suis cassé la gueule mardi dernier. Sur le moment j'ai bien cru que je m'étais cassé le bras en heurtant le quai, mais une visite aux urgences de l’hôpital publique de Colonia, où l'on m'a fait une radio, m'a rassuré sur ce point. J'en suis quitte pour une belle estafilade et des contusions diverses. 
Mais pour l'heure, le choc n'a apparemment pas causé d'autres dégâts à La Boiteuse. A la lumière des lampadaires du port je distingue juste une éraflure sur la protection en cuivre du liston. 

Plus de peur que de mal
 La pluie est là maintenant et il est deux heures et demi du matin. Avec Zoë nous nous asseyons dans le carré et nous attendons. Touline vient se loger dans les bras de mon équipière, alors que moi je reste assis, silencieux, tendu comme un arc. Zoë me propose alors de m'occuper l'esprit en jouant aux cartes, mais je refuse. Je suis tétanisé par mon impuissance. Je sens dans tout mon corps les mouvements du bateau, le fracas des vagues sur la coque. J'ai mal au ventre. 
Soudain, La Boiteuse commence à ruer comme un cheval fou qui cherche à se libérer de ses entraves. Boum ! J'ai l'impression que l'on me plante une lame dans l'estomac. Boum ! Toute la coque résonne et les haubans vibrent. Cette fois-ci ça a tapé beaucoup plus fort. Je n'y tiens plus et je sors sous la pluie pour constater les dégâts. La bordure en cuivre du liston est complètement tordue et le bois qu'elle était sensée protéger, éclaté. Le davier lui aussi à morflé, et si il pète, je perds aussi mon étai. 
 C'est alors que j'ai l'idée de disposer des pare-battages à même le quai pour anticiper les prochains coups. Je sais, vous allez me dire que j'aurais pu y penser avant, et Zoë me l'avait suggéré plusieurs heures plus tôt... Mais je n'ai pas compris ce qu'elle m'a dit. Putain de différence de langage !

Une heure plus tard, il pleut toujours. J'ai les yeux qui se ferment et la tête qui dodeline. Cependant, impossible de fermer l’œil car de temps en temps je sens encore l'étrave de La Boiteuse heurter le quai. Même si c'est maintenant moins violent grâce aux pare-battages, je sursaute à chaque fois... Tous les propriétaires de bateaux doivent savoir ce que l'on ressent dans ces cas-là. On a les tripes en vrac. On ne désir qu'une chose : Que ça s'arrête. Oui mais voilà, le vent est sensé tourné dans la nuit, mais putain de merde il prend son temps le salopard. 

Quatre heures et demi du matin, je jette un œil dehors. La pluie a cessée, et le vent a enfin tourné au nord-ouest. Les vagues sont moins fortes et La Boiteuse a cessé de bondir comme un cabri. Je vérifie une dernière fois le pont, les amarres... Mais je me rends bien compte que je ne peux rien faire de plus que ce que j'ai déjà fait. La bataille inégale est terminée, et mon bateau est encore là. Il est temps d'aller dormir. 

Aujourd'hui. 

Le lendemain...
Aujourd'hui nous sommes lundi, et la situation a changée du tout au tout. Le vent en tournant a grossi la marée, et le quai est sous l'eau. La semaine dernière, l'eau est montée jusqu'à la moitié de la hauteur de la jetée... Pour bien faire il faudrait que je gonfle l'annexe, mais je n'ai pas envie. Dans quelques heures les eaux redescendront, et il sera toujours assez tôt pour aller en ville et vous poster cet article. Ou bien j'attendrais demain. 
 Les dégâts de cette nuit de vendredi ne sont pas si graves finalement. Nous nous en sortons avec quelques heures de sommeil en moins, et un item de plus à la liste déjà longue des travaux que je dois effectuer en Argentine. 

La morale de cette histoire c'est que, au cas où vous ne l'auriez pas encore compris, la vie de nomade des mers n'est pas une perpétuelle partie de plaisir. On vit parfois des moments durs, des moments où l'on se pose plein de question... Sur ce qu'on fait ici, sur les choix de vie qui sont le notre. Et parfois on en vient à regretter ces choix. Heureusement, cela ne dure pas longtemps, car dès que le jour se lève de nouveau, cette expérience vient s'ajouter aux autres, et l'on se dit que ça vaut finalement le coup de continuer. Oui, ça vaut le coup.

Là aussi, plus de peur que de mal

Cette nuit-là s"annonçait si bien !