lundi 29 septembre 2014

De Vitória à Santo André – Deuxième partie

16°15.083S 39°00.885W
Santo André, Bahia

Mercredi 24 septembre 2014 - Journée tranquille

On l'a fait !
05H20 : Coucou ! Et oui c'est nous ! On est vivants !
Bon, tout compte fait ça s'est passé... à peu-près comme je l'avais prévu. Sauf que c'est à 01H15 exactement que j'ai finalement abattu de 25°, puis de 25 autres degrés une heure plus tard.
La Boiteuse a été un peu chahutée dans le goulet à cause de l'accélération due à l'effet Venturi, mais le vent nous a soutenu tout du long sans faiblir. La sonde a flirté avec les 10 mètres quelquefois, mais sans que cela ne se remarque à la surface... Du moins d'après ce que j'ai pu noter dans cette nuit sans lune. Et c'est donc vers 02H30 du matin, le feu de Santa Barbara à présent derrière nous, que j'ai pu consentir à dormir un peu.
Avec le recul de quelques heures, je remarque que ce n'était pas tant la manœuvre en elle même qui était compliquée, après tout il ne s'agissait que d'un changement de cap en temps et en heure, que le fait d'être prêt à réagir rapidement à l'impondérable. Car, contrairement à ma façon habituelle de naviguer la nuit, si quelque chose avait foiré je n'aurais pas eu une ou deux heures avant que de percuter un cailloux, mais plutôt 10 ou 20 minutes... Elle était là la source de mon stress.

05H50 : Alors que je regarde le soleil levant sur tribord, j'aperçois deux baleines qui font des cabrioles en ombres chinoises... Les Abrolhos sont vraiment « leur coin ». Quelque soit la direction où je porte le regard, je suis sûr de voir tôt ou tard un souffle ou une gerbe d'eau. Ça grouille littéralement !

06H00 : Il reste 85 milles à faire... Ce qui nous fait arriver sur le coup de trois heures du matin demain. Pas cool, mais pas grave non-plus. Je vais bien me démerder pour perdre un couple d'heures en route, et me pointer aux abords du récif au lever du jour... Avec la marée !
Perdre du temps en mer, c'est facile. C'est en gagner qui est difficile.

07H40 : Il fait un temps splendide. La mer est encore un peu hachée à cause du courant contraire, la présence de sargasses en témoigne, mais La Boiteuse s'y fraye tranquillement son chemin avec un vent de travers plutôt faible mais constant. J'ai mis la ligne de traîne à l'eau, histoire d'attraper quelque chose pour Touline et moi.
J'ai un petit creux... Normal, vu que je n'ai pas mangé hier au soir. Allez, si on se mangeait une banane/chocolat ?

07H50 : Surprise ! Voilà qu'une famille de grands dauphins vient nous rendre visite ! Ça faisait longtemps ! Touline est surexcitée et coure dans tous les sens pour ne rien rater du spectacle.

Comme il se la pète lui !

12H00 : Matinée tranquille sans événements particuliers. On avance à 3,9 nœuds de moyenne. Le seul souci est que le vent est en train de virer est-nord-est... et ça n'arrange pas mes affaires. Je suis obligé de faire du près.

15H40 : Après une boite de fejoada, j'ai réussi à dormir un peu plus de deux heures. Pendant ce temps La Boiteuse à continué son bonhomme de chemin vers le nord à trois nœuds, en tanguant sur une mer calme et déserte. J'ai regardé la carte mais j'ai oublié combien de milles il nous reste à faire... Ce que je sais c'est qu'à cette vitesse on devrait arriver vers sept heures du matin demain.

16H00 : Je pense à ma prochaine escale, Santo André près de la ville de Santa Cruz de Cabralia. Même si un petit paragraphe lui est consacré dans le guide côtier Balette, peu de voiliers s'y arrêtent. Sand doute parce que l'entrée du fleuve est soumise aux marées et qu'il n'y a aucun service. Juste quelques pousadas et le fleuve... Si j'ai eu l'idée de m'arrêter là, c'est après avoir vu quelques photos sur la page Facebook d'Izabel Pimentel. J'ai trouvé l'endroit joli, et ce qu'elle en disait m'a décidé à y planter la pioche. J'espère ne pas être déçu.

16H25 : Ça serait bien si je trouve un coiffeur à Santo André. Je sais que ça me fait un côté bogosse, mais les cheveux longs c'est chiant. Surtout quand ils sont sales.

Z'êtes où ?
17H10 : La journée touche à sa fin. Je viens de ranger le tangon sur le pont, et bien sûr j'ai dû m'y reprendre à deux fois pour le faire. Touline m'avait suivit ! Je dû l'empoigner de force et l'enfermer dans le bateau afin d'avoir le champ libre pour travailler. J'ai remonté aussi la ligne de traîne... je n'ai réussi à attraper que des algues.

18H00 : Point du soir. Le courant semble avoir baissé. En tous cas, nous avançons à un peu plus de quatre nœuds, au bon plein. Arrivée prévue dans onze heures. Mas o menos.

Le jeudi 25 septembre 2014 - Échoué

04H30 : La nuit s'est très bien passée même si je n'ai pas dormi plus de quatre heures. Nous sommes à 10 milles de l'arrivée et à l'est une pâle lueur apparaît. Le timing n'est pas trop mal... Une petite heure d'avance n'aurait pas été pour me déplaire, mais hélas ne vent qui en temps normal m'aurait parfaitement convenu, a été un peu mou en deuxième partie de nuit. J'avoue qu'entrer dans ce fleuve, le Rio João de Tiba, me rend un peu nerveux... Peu ou pas de fond, des récifs et des bancs de sable, tout ça m'inquiète un peu. Mais bon, d'autres que moi y sont passés avant, avec des tirants d'eau plus importants, et ils m'ont assuré que ça passait. Alors on va leur faire confiance !


Ça se mange ça ?
04H55 : Flûte ! Le vent est en train de me laisser tomber, le lâche ! Allez, souffle un peu plus fort toi ! Tu ne vois pas que j'ai une marée à respecter ?
En fait, je ne sais pas très bien à quelle heure est l'étal de marée haute... Hier c'était à 15H10, donc ce matin ce devrait être... maintenant. Ou il y a une heure. Bref, j'en sais rien.

05H10 : J'allume Mercedes. On fonce à cinq nœuds vers l'entrée du rio, et on est en retard.

06H20 : Je crois que j'aperçois le double récif qui marque l'entrée du fleuve. Les vagues se brisent dessus et font un liseré blanc. Je vous avoue que c'est ma première expérience avec le corail. Les cailloux, les bancs de sable, tout ça je connais, mais les récifs de corail sont une première pour moi. Je vois le mât d'un voilier au loin.

06H45 : L'ancre est à poste avec son orin, c'est le moment d'affaler les voiles.

06H50 : A priori, j'ai deux mètres d'eau en plus que la profondeur indiquée sur la carte. On devrait passer... (J'espère !)

07H10 : Merde, je suis tanqué. Je pousse le moteur à fond en marche arrière, mais rien n'y fait.

07H20 : Deux pêcheurs s'approchent en barque et repartent aussitôt pour aller chercher quelqu'un avec un bateau plus gros. Je leur dis de faire vite car la marée descend de minute en minute.

Echoué !

07H35 : Ils sont de retour pour m'annoncer que le mieux à faire et d'attendre que la marée remonte... D'après eux, ce devrait être bon vers midi. En fait je n'ai pas bien compris si l'eau devait commencer à remonter vers midi, ou que la marée haute était à midi ! Quoiqu'il en soit, il semblerait que je me sois complètement planté dans mes calculs.
Bon, au passage, et vu qu'ils étaient vachement sympa, je leur est demandé un poisson pour Touline. La pauvre s'est jetée dessus comme la vérole sur le bas clergé.

07H40 : Je n'ai qu'une chose à dire : MERDE !

08H00 : 25° de gîte. Heureusement pour nous, nous sommes protégé des vagues par la barrière et La Boiteuse se couche sans à-coups.

08H15 : J'ai mis l'annexe à l'eau et j'ai été frapper l'ancre de secours au vent. Je ne suis pas sûr que ça serve à quelque chose, mais ça me rassure.


08H35 : Un type est venu (à pied !) pour me demander si je voulais descendre à terre et boire un verre dans son bar en attendant que l'eau remonte.
Euh... T'es gentil garçon, mais je préfère rester sur mon bateau si cela ne te fait rien. Mais merci quand même ! Il m'a précisé aussi, que la marée haute serait à 13H00, ou du moins que je pourrais sortir de là à 13H00. Je n'y comprends plus rien !

09H00 : L'eau continue à descendre et moi je me perds en conjectures. De toute façon je n'ai plus qu'à attendre hein ? Que voulez-vous que je fasse d'autre ? En tout cas le coin est très joli !

09H30 : Ça y 'est ! L'eau remonte ! Un petit caillou posé sur le banc de sable était au sec tout à l'heure et le voilà sur le sable mouillé à présent ! Ah merde, non... c'était une vague un peu plus forte que les autres.

09H55 : C'est bien ce que je pensais : La marée haute ne peut en aucun cas être à 13H00. C'est pas possible. Un vieux type qui loue des kayaks est venu en pagayant me le dire. Ce sera plutôt 16-17H00, comme je le présumais.

10H15 : Je le crois pas... Figurez-vous que des gens viennent se prendre en photo avec La Boiteuse échouée en arrière plan ! Je suis l'attraction du jour ! Et je ne vous raconte pas quand ils voient Touline se balader sur le pont aussi penché qu'un toit. C'est de l'hystérie !

Le pêcheur et sa famille
10H40 : Le pêcheur de tout à l'heure est revenu à pied avec toute sa famille pour profiter du spectacle. La femme, les enfants en bas âge et la grand-mère !

10H50 : Là j'en suis sûr, mon petit caillou est de nouveau sous l'eau ! Alléluia ! Donc logiquement, la marée haute devrait être dans maintenant plus ou moins six heures. J'espère que je pourrais me dégager plus tôt, car mine de rien je suis en train de cramer assis sur le pont (à la contre-gîte même si cela ne sert probablement à rien). En plus j'ai faim, et j'ai soif.
Une escuna blindée de touristes passe, et bien sûr tout le monde se met à mitrailler La Boiteuse et son infortuné Capitaine. J'agite les bras et salue bien bas comme un acteur au théâtre. La foule est en délire et hurle à l'unisson. C'est la fête !

11H30 : Je le crois pas à quelle vitesse la marée est en train de monter ! Je vais pas tarder à me retrouver à flot.

Pas fier !
12H00 : La Boiteuse est presque à l'horizontale. Au fur et à mesure que la petite houle la soulève, je tire sur mon ancre, et le bateau a commencé à pivoter de quelques degrés. Le souci c'est que les récifs sont à présent presque submergés et que les vagues viennent directement frapper le flan du bateau... Je le sens qui rebondi sur sa quille, et sur le safran. La quille c'est pas trop grave, le safran c'est une autre histoire... Je le vois qui encaisse les coups, et j'ai des nœuds à l'estomac. Bordel, ça part en couille là...

Ensuite, j'ai arrêté de prendre des notes parce que les choses se sont enchaînées très rapidement. Tout d'abord, il a bien fallut que je me rende compte que j'avais beau tirer sur mon câblot comme un malade, cela ne changeait rien à rien. La Boiteuse était en train de se coucher à nouveau sur le flanc, poussée par les vagues que plus aucun récif ne contenait. Pire, je sentais bien que ma petite ancre de dix kilos et son aussière ne faisaient plus le poids et que mon bateau était en train de se traîner lamentablement vers la plage.
J'ai alors interpellé vigoureusement un des badauds qui restait là à me regarder comme un couillon, et je lui ai demandé d'appeler quelqu'un, de faire quelque chose, bref de se bouger le cul parce que là vraiment, il y a avait péril en la demeure. Et je l'ai regardé se diriger vers la plage avec une lenteur désespérante...
Puis j'ai sauté de nouveau dans mon annexe pour aller jeter cette fois l'ancre principale avec 25m de chaîne en direction de ce qui me semblait être le canal praticable. Ensuite, j'ai commencé à tirer sur mon ancre avec le guindeau... En pure perte. La Boiteuse continuait à reculer sous l'assaut des vagues, et elle qui tout à l'heure était presque à flot se retrouvait de nouveau avec le rail de fargue au ras de l'eau. Bientôt, si on ne venait pas me sortir de là, j'allais me retrouver en un point où même la marée haute ne pourrait plus me déloger.

Attendre....

En désespoir de cause, et ne voyant toujours rien venir, j'ai soufflé dans ma corne de brume pour attirer l'attention de quelqu'un. Le type des kayaks de tout à l'heure a réagi au quart de tour et s'est précipité vers moi à grand coups de pagaie, et je lui ai demandé à lui aussi d'appeler du secours. J'avais besoin d'un bateau avec un moteur puissant pour me tirer de là et je ne pouvais pas attendre que la marée soit haute parce que mon bateau risquait de se casser (en portugais c'est pas facile à dire mais j'y suis arrivé quand même).
Cinq minutes plus tard, voilà un bateau de pêche qui passe. Je fais de grands gestes pour attirer leur attention, et lorsqu'ils s'approchent je réitère ma demande d'aide. Ils me répondent qu'ils m'envoient quelqu'un dès qu'ils sont arrivés (Où ? Quand ? Grrrr !)...

C'est alors que l'escuna qui était passée plut tôt, la Baya Morena, et qui avait déposé et repris son lot de touristes sur la plage entre temps, s'est approchée. Ils avaient été prévenu par le premier baigneur que j'avais sollicité, celui que j'avais « interpellé vigoureusement », et venait me tirer de là entre deux rotations. Ouf !
J'étais tellement soulagé que je n'ai même pas eu la présence d'esprit de demander combien ça allait me coûter cette histoire. J'ai saisi l'amarre grosse comme le poignet que leur zodiac est venu m'apporter et je l'ai rapidement nouée au taquet (heureusement mes taquets à l'avant sont balèzes). L'amarre s'est tendue et vroum ! En cinq secondes les 300 chevaux de l'escuna ont arraché La Boiteuse à son piège de sable.
Une fois à flot, je démarre mon moteur, et ensuite je fais mine de vouloir larguer l'amarre... Mais non, par geste le Capitaine de l'escuna m'explique qu'il va me conduire directement au mouillage ! Et nous voilà remontant le fleuve à huit nœuds de vitesse. Je jette un œil au sondeur : 5,50m. Y'a pas à dire, j'aurais pu passer si seulement j'étais resté dans le chenal...

La Bahia Morena

Bref, l'escuna fait une boucle devant le restaurant La Gaivota, je largue l'amarre et je jette l'ancre par trois mètres de fond. Il est 13H30 et je suis arrivé ! Enfin !

Vendredi 26 septembre 2014 - Épilogue

Horaires marée du 25 sept 2014
08H00 : Je suis attablé sur la terrasse du restaurant La Gaivota, et je regarde le fleuve couler paresseusement. La Boiteuse est là, devant moi, tirant sur sa chaîne au gré du courant. J'entends au loin la rumeur du récif. Il fait un temps magnifique et pas encore trop chaud... C'est un joli moment.
Cette nuit j'ai dormi du sommeil de celui qui a beaucoup donné, aussi bien physiquement que mentalement. Et chose bizarre, Touline a été respectueuse de ça.
Des événements de la veille je garde quelques courbatures, des coups de soleil et de beaux cernes sous les yeux. Mais tout se diluera dans le temps et bientôt cette mésaventure rejoindra les autres dans mon panthéon personnel. Cela deviendra une histoire de plus, une expérience de plus.

Je n'en ai pour l'instant pas vu beaucoup, mais je sais déjà que cet endroit va me plaire. Hier en fin d'après midi, et après avoir rangé le bateau, je suis allé me balader à la recherche de wifi et d'un épicier (j'ai acheté un pack de bière que j'ai offert à l'équipage de l'escuna pour leur aide gracieuse), et j'ai découvert un lieu charmant. C'est calme, plein de verdure et le gens que vous croisez vous disent bonjour.
A priori La Boiteuse n'a rien. Enfin, je crois. Il va falloir que je vide le coffre arrière et que j'examine plus attentivement la mèche de safran, et voir si les événements d'hier n'ont pas fait trop de dégâts. Mais je crois qu'on s'en tire plutôt bien. C'est qu'il est solide mon bateau. C'est un brave navire que j'aime de tout mon cœur... Et puis je la trouve très belle ma Boiteuse, là, ancrée dans le fleuve en ce matin de septembre.

Mouillage de Santo André

vendredi 26 septembre 2014

De Vitória à Santo André - Première partie

16°15.083S 39°00.885W
Santo André, Bahia

Le lundi 22 septembre 2014 – Départ musclé

03H30 : C'est Touline qui m'a réveillé. Elle se battait avec un capuchon de stylo. En temps normal elle se serait vu rembarrée (avec violence si nécessaire) mais étant donné le programme du jour je me suis levé. Deux tasses de café plus tard je m'attaquais aux derniers rangements afin de rendre La Boiteuse navigable. Dehors il fait plutôt frisquet, vent du sud oblige. Celui-ci s'est levé comme prévu dans la soirée d'hier et devrait durer deux jours avant de virer à l'est puis au nord-est. On attend des vents entre vingt et trente nœuds... Autant dire que les prochains jours vont être assez musclés.

Au revoir Vitoria
06H30 : Décollage dans la zénitude (pour une fois). Le vent s'est calmé pile-poil pour nous permettre de partir sans souci.

06H50 : Je jette un œil au tourteau et à l'arbre d'hélice. La mécanique tourne comme une horloge sans aucune vibrations intempestives, c'est un vrai bonheur. Il fait gris et la polaire est de rigueur (j'ai essayé sans, mais ça marche pas).

07H45 : Le moteur est arrêté et nous voilà quasiment au vent arrière. Cap au 50°, à un peu plus de 4 nœuds. Pour l'instant c'est plutôt calme.

J'aperçois sur tribord avant la goélette de 60 pieds d'Alfred le Germain. Il est parti après moi, mais le voilà devant ! Aucune chance que le rattrape un jour celui-la...

J'ai deux ris dans la Grand Voile et le foc en grand, tangonné en ciseau. La Boiteuse glisse sur l'eau tel un papillon.

08H30 : Ah enfin ! On dépasse les cinq nœuds de route fond. Tien au fait, en écrivant la date, en haut à droite sur mon cahier à spirale, je me suis rendu compte qu'il y a deux jours était la date anniversaire des mes huit ans d'abstinence. Huit ans... Je ne dirais pas que ce fut huit années sans avaler une goutte d'alcool, car il m'arrive de temps en temps de tremper mes lèvres dans un verre de vin histoire d'en apprécier le tanin et surtout d'avoir quelque chose à en dire aux personnes en face de moi (Je suis français et on attend de moi une certaine expertise en la matière). Mais je ne le fais vraiment pas trop souvent et je n'avale jamais plus qu'une demi-gorgée car ça me rend malade assez rapidement.

Donc à part ça, je crois qu'on peut dire que je ne bois plus depuis 2922 jours... Je ne vous dis pas la taille de la médaille si j'étais chez les AA !


Allez, je vais me faire un maté pour fêter ça.

09H40 : Je réduis un peu la voile d'avant. Des surfs à 9 nœuds c'est sympa, mais il ne faut pas en abuser. La mer se creuse de plus en plus et déferle sérieusement. Nous sommes dans un bon F6 maintenant.

10H00 : Ça monte encore et j'enroule le foc au deux-tiers. Six nœuds de route-fond et des pointes à huit... La mer est bien merdique avec des vagues très courtes. La Boiteuse roule comme une barrique.

Papillon
12H00 : Malgré la vitesse et l'inconfort, Touline est en pleine forme et cherche désespérément quelle connerie elle pourrait faire. Je ne la quitte quasiment pas des yeux... C'est que la Miss est assez douée pour innover dans ce domaine. Sa dernière bêtise a été de me bouffer interrupteur de ma lampe frontale !

Bon, il est midi et j'ai faim, alors je vais me faire un bol de nouille.


13H00 : Le vent vire au sud-est et j'ai du mal à tenir mon cap. Je suis obligé de détangonner le foc. La manœuvre est rodée à présent et ne prend que quelques minutes, mais avec une telle mer c'est plutôt acrobatique comme exercice. On a des creux de trois mètres maintenant.

14H30 : C'est chaud, très chaud... 25 nœuds établis, avec des rafales à 29. Je ne suis pas inquiet, mais pas tout à fait rassuré non-plus.

15H20 : On dirait que ça se calme un peu. Juste un peu... J'ai essayé de me faire un café sans en renverser, mais ce fut peine perdue. La houle est croisée, vicieuse, et déferle de partout à présent.

Heureusement il fait un beau soleil.

16H00 : On dirait que ça se platifie. J'apprécie. On va dire que des Alpes on est passé au Vercors si vous me permettez l'image (Coucou Marius!).

16H15 : Baleine droit devant ! C'est drôle, mais cela ne fait vraiment pas le même effet de voir sauter ces énormes bêtes dans une mer démontée. C'est plus discret... Car la gerbe d'écume se confond avec le paysage.

Les photos ne rendent pas assez, mais je vous assure que ça dépote !

16H50 : Oh putain la trouille ! J'ai faillis m'en prendre une ! Deux plutôt.

J'étais en train de regarder vers l'avant, du côté sous le vent pour une fois, lorsque soudain je les ai vu. Deux jeunettes grandes comme la moitié du bateau en train de jouer dans les vagues et qui se trouvaient sur une route de collision à à peine 20 m devant !

J'ai eu juste le temps de donner un coup de barre pour abattre en urgence et leur passer sur l'arrière, pendant que ces deux connes continuaient à faire des tonneaux sans se soucier de moi !

Je suis sûr qu'elles ne m'avaient pas vu, car tout de suite après je les ai vu sortir la tête de l'eau comme pour regarder quel était cet étrange animal qui venait les déranger dans leur jeu.

18H00 : Le soleil est couché et la pénombre s'installe peu à peu. Je fais le point : 5,6 Nœuds de moyennes sur les dernières six heures, c'est plus qu'honorable. Le cap n'est pas moche non plus... On va continuer comme ça pour la nuit. J'espère seulement que les baleines iront se coucher !


Le mardi 23 septembre 2014 – Encore des baleines

05H00 : J'ai dormi comme un loir. Une bûche ! Pas un chat sur l'eau pour m'inquiéter et un petit temps pour me bercer... le pied ! Je n'avais pas dormi ainsi en mer depuis ma transat. C'était sans doute nécessaire après ma journée d'hier. Le cap a été super-bon, ce qui compensera sans doute une vitesse fortement réduite.

A la louche, il doit reste 165 milles à faire sur les 275 prévus.

05H30 : J'ai un souci avec ma voile d'avant. Oh, rien de grave, mais quand même... Le quart supérieur du guindant est sorti de sa gouttière. Il faudrait que je l'affale afin de la réinsérer correctement, mais il y a un peu trop de vent pour cela... Et puis ça bouge pas mal, ce qui serait assez casse-gueule.

J'ai laissé quelques tours dans l'enrouleur pour pallier au problème. Ça devrait faire l'affaire.

05H25 : J'aperçois des souffles de baleines très loin sur bâbord avant. Je vais devoir garder les deux yeux grands ouverts car nous approchons de l'archipel des Abrolhos qui est en cet saison un véritable sanctuaire pour cétacés.

06H05 : J'ai fait du 4,2 nœuds de moyenne pendant la nuit. C'est pas good. J'espère que je vais pouvoir rattraper le coup parce que sinon je suis bon pour traverser les Abrolhos de nuit... Mais ce n'est pas gagné car pour l'heure, on se traîne à trois nœuds maxi. Il doit y avoir un fort courant contraire... J'ai l'impression de voguer sur de la glu.

Beau temps
06H15 : Ah oui ! Il y a un truc qu'il faut que je vous dise ! Cette nuit La Boiteuse et moi-même (mais pas Touline qui a embarqué plus tard) avons franchis le cap des 10 000 milles parcourus ensemble !

Il nous aura fallu trois ans et demi pour arriver à ce résultat... J'avoue que j'ai un peu de mal à me rendre compte. Est-ce qu'il existe un diplôme, un badge pour célébrer ça ? Est-ce que ça fait de moi un vrai marin ?

Le fait est que le chiffre est rond et sonne bien à l'oreille autant qu'il tape à l’œil lorsqu'il est écrit. Mais en dehors de ça, cela n'a pas vraiment de sens.

07H05 : On se traîne bordel ! Je relâche le deuxième ris pour arriver à franchir difficilement les trois nœuds. Je commence à me dire qu'au lieu d'arriver demain après midi comme je l'avais imaginé, on arrivera plutôt jeudi matin...

O8H1O ; J'ai une petite faim, alors je m'offre une gourmandise. Une banane trempée dans de la crème au chocolat ! Yummy !

09H00 : Le vent se maintient au sud-est, aussi je décide de changer de cap et de contourner les Abrolhos par l'est. Cela me rajoute 30 milles sur la facture, mais d'une part je n'aurais pas à passer cette zone dangereuse de nuit, et d'autre part cela me permettra d'arriver de jour à Santo André.

10H00 : Putain de courant...

Whale watching

11H05 : Ça y est, le vent est là. Sauf qu'il a tourné à l'est et que nous voilà au bon plein. S'il continu à tourné, je ne vais pas pouvoir éviter les îles... Je commence à me demander si je ne ferais pas mieux de m'arrêter à Caravelas...

Bon, j'ai encore un peu de temps de milles devant moi pour trouver de l'attrait à cette solution. Attendons de voir ce que l'avenir nous réserve. Pour l'heure, y'a des frisottis sympas sur la crêtes des vagues et on arrive à passer les quatre nœuds au surf.

12H00 : Le vent refuse toujours et baisse en intensité. Je suis obligé d’abattre de 20° pour conserver un peu de vitesse. Je me suis préparé une belle saucisse avec une boite de haricots rouges. Voilà qui devrait combler ma faim en même temps que mes besoins en énergie, car je n'ai rien mangé hier au soir.

14H00 : Alors que j'étais en bas en train d'étudier la carte pour la énième fois, j'ai entendu siffler. C’était comme si quelqu'un m'appelait de l'extérieur en sifflant entre ses dents ! Mais non, c'était juste une baleine qui nageait à vingt mètres du bateau et qui saluait ses courbes gracieuses. Un dernier salut de la queue, et elle a plongé avant même que je ne puisse allumer mon appareil photo.

(D'ailleurs c'est bien simple, j'ai vu je ne sais combien de baleines pendant cette traversée, mais vous ne verrez hélas aucune photo. Pardon !).

16H00 : La Boiteuse, au près serré, pioche laborieusement dans une mer hachée. Chaque mille est arraché à coups d'étrave. C'est vraiment une mer de merde. Heureusement, il fait beau et chaud.



17H00 : Bon ben les enfants, je crois que finalement on va devoir passer par le canal entre les îles... J'ai tout fait pour remonter au vent autant que possible, mais à moins de tirer des bords on ne passera pas.

18H00 : Il est temps de préparer ma stratégie pour la nuit qui vient. Logiquement, à cette allure et avec ce cap, je devrais aborder le passage « problématique » vers 22H30. Ensuite, je vais devoir changer de route tout en faisant gaffe à la sonde pendant environ une vingtaine de milles avant que d'être tiré d'affaire. Soit entre cinq et six heures en dormant le moins possible... La nuit promet d'être longue !


On passe au milieu !

18H20 : Je viens de penser à un truc. Normalement, le courant entre les îles devrait être encore plus fort qu'il ne l'est actuellement. J'espère seulement que le vent ne nous fera pas défaut.

18H30 : Bordel ! Là j'ai vraiment eu peur... J'étais en train de regarder vers l'avant, en cherchant des yeux le feu clignotant de l'île de Santa Barbara dans la nuit noire, lorsque j'ai soudain entendu sur ma droite un long cri rauque ! On aurait dit qu'un monstre était là presque à me toucher tellement le son était fort !

Je vous jure que pour le coup mon cœur c'est arrêté et j'ai dû rater deux ou trois battements avant que de recommencer à respirer normalement.

Puis j'ai entendu comme un couinement, un peu plus loin sur l'arrière. Un couinement qui m'a semblé se terminer sur une note interrogative. Ouf, la bête s'éloignait... Mais la vache, quelle trouille !

18H45 : Non mais c'est pas vrai ! L’étrave de La Boiteuse, au lieu de faire splash comme d'habitude lorsqu'elle retombe, à fait jboum ! Je crois que cette fois-ci je viens bel et bien de m'en prendre une ! On a pas tapé fort, mais j'ai bien senti qu'on heurtait quelque chose de solide mais un peu mou... J'étais allongé dans le cockpit et j'ai bien senti les vibrations du choc. Je commence sérieusement à douter de mes choix...

19H10 : Je sais que je devrais dormir un peu, mais je n'y arrive pas. Je gamberge trop. J'ai un aveu à vous faire. Le chant des baleines c'est bien joli, mais lorsque vous l'entendez à travers la coque en plastique d'un bateau qui vogue dans la nuit noire, en direction d'une zone potentiellement dangereuse, c'est une toute autre histoire. C'est flippant.


La suite bientôt !


lundi 15 septembre 2014

Tourteau et réflexions

20°18.042S 40°17.316W
Vitória

J'aime bien les dimanches. C'est plus calme, plus tranquille, que les autres jours de la semaine... Enfin, dans mon cas cela ne veut pas dire grand-chose puisque mes journées sont à peine plus remplies en semaine. Non, le dimanche c'est un jour où on peut remettre au lendemain tous ses soucis et toutes ses réflexions. Quoiqu'il arrive, on peut se dire : « On verra demain ! » et n'en ressentir aucune culpabilité... C'est en ça que les dimanches sont géniaux.
M'enfin, je suppose que vous, mes lecteurs, n'êtes pas là pour écouter les jérémiades d'un presque quinqua en recherche de reconnaissance, ni supporter la philosophie à deux balles d'un écrivaillon raté. Ce que vous voulez, ce sont des couleurs flamboyantes, du dépaysement, de l'aventure !
Et ben je suis désolé pour vous, mais je n'ai pas ça dans ma musette en ce moment. C'est même plutôt le contraire.

Le nouveau tourteau
Comme prévu, le tourteau nouveau est arrivé mardi dernier sous la forme d'une pièce monobloc en acier inoxydable de bon aloi. Un truc moins sophistiqué que le précédent puisque qu'il ne dispose pas des caoutchoucs sensés atténuer les vibrations, mais qui a le mérite, contrairement à l'autre, d'être plus facile à démonter. La preuve, même moi je serais capable de le faire si l'occasion s'en présentait. Ce que je ne souhaite pas, vous vous doutez bien.
Qui dit pièce faite sur mesure pour cette pauvre Mercedes, plus le traditionnel foutage de gueule dû au gringo de passage, dit forcément prix prohibitif. J'ai un trou dans mon budget de 1690 $R (557 Euros) soit probablement le triple du prix normal... Mais comme je ne sais pas ce qu'est à proprement parler un budget, j'imagine que ce n'est pas si grave.

Notez le sourire du mécano...
Par contre ce qui l'est un peu plus c'est que nous sommes maintenant en septembre, que c'est la fin de « l'hiver » et que l'anticyclone de Sainte-Hélène est en train de s'installer. Cela veut dire que les dépressions susceptibles de me faire remonter vers le nord vont se faire plus rares qu'elles ne l'étaient. Bref, ça va être encore plus compliqué de décarrer d'ici...
Face à ce mur de vent, j'ai même imaginé un moment redescendre en Uruguay et faire le tour par en bas... Mais non. Pour se faire il faudrait que je change de bateau, que je trouve une femme pour m'accompagner et que je me mette à aimer le froid. Autant de conditions qui pour l'instant sont loin d'être rassemblées.

Pour être franc j'ai l'impression pour la première fois depuis mon départ, que ce voyage m'échappe... Les plans que j'avais tirés en début d'année sont en train de partir en couille. Je prends du retard, et je dois bien me rendre à l'évidence que je ne serais probablement pas à Panama pour Noël. Notez l'emploi de l'adverbe probablement : Ça veut dire que les choses peuvent se passer autrement mais qu'elles n'en prennent apparemment pas le chemin.

Meu amigo Roberto !
A cela s'ajoute le fait que mon compte en banque maigri à vue d’œil et qu'il serait peut-être temps qu'à moyen terme je songe à m'installer quelque part pour gagner quelques sous. Et là, lorsque je me mets à penser à ce genre de chose, j'ai l'impression de me trouver au bord d'un gouffre immense... Quoi faire ? Où le faire ? Ce sont autant de questions qui me terrifient. Et quand je dis que cela me terrifie, c'est au-delà des mots. J'angoisse rien que d'y penser. Aussi, j'essaye d'y penser le moins possible... Mais c'est peine perdue car mine de rien, j'ai encore au fond de moi un petit être raisonnable qui me murmure : Pense au futur !
Ah lala... Si seulement j'avais fait le bon choix il y a deux ans ! Car pour moi il est clair maintenant que lorsque j'ai pris la décision d'aller vers le sud après avoir traversé l'Atlantique, c'était une erreur. Je me suis bien planté sur ce coup là... Et j'en paye le prix aujourd'hui. Je n'ai pas pour habitude d'avoir des regrets (du moins j'essaye), mais je vous avoue que si c'était à refaire...

Bon allez ! Les dernières données météo indiquent qu'il y aura probablement un truc le weekend prochain. Genre tempête venue de l’Antarctique. Pile-poil ce qu'il me faut pour changer d'air et d'humeur. Je vous tiens au courant bien évidement, et si en attendant vous entendez parler d'un poste de manager dans une marina, plutôt dans les Caraïbes, je suis preneur !

 
Presque quatre mois sans mettre une patte à terre... Je te hais !

lundi 1 septembre 2014

Vitória

Un petit aperçu de là où c'est que j'habite pour l'instant. Bon, en vrai c'est moins joli que ça en a l'air... Peut-être est-ce parce que vu du ciel les choses sont plus belles ? Si c'est le cas, les oiseaux ont du bol.